« Social » en réseau

Chaque fois qu’une nouvelle technologie s’inscrit à part entière dans la vie humaine, nous pouvons naturellement nous demander si elle changera notre nature en plus de notre mode de vie.

Lors de l’introduction du téléphone, par exemple, certains ont songé aux effets potentiels sur la vie sociale et privée. Les gens deviendraient-ils plus fainéants ? Le rythme de la société en serait-il accéléré ? Est-ce que cela allait interférer dans la vie familiale ou empêcher les amis de se rendre visite ? Des observateurs ont conclu que ces premières inquiétudes sociales étaient justifiées, au moins en partie. Selon eux, le téléphone a peut-être relié les personnes en un sens mais il existait aussi « un vide palpable à travers lequel les voix semblaient particulièrement désincarnées et lointaines » (Stephen Kern, The Culture of Time and Space, 1880‑1918).

« Est-ce que vous fonceriez dans un bureau ou sur la porte de quelqu’un en lançant “Hallo, hallo ! À qui suis-je en train de parler ?” ? Non ! Il convient d’entamer les conversations par des formules telles que “Monsieur Wood, de Curtis et fils, souhaiterait parler à Monsieur White”, sans ces “Hallo” inutiles et discourtois. »

Article sur les usages téléphoniques, figurant dans les annuaires de la compagnie Américaine AT&T vers 1910 (cité par Claude S. Fischer, America Calling)

Que le téléphone ait créé ou pas une sensation de distance affective, ces inquiétudes ont persisté, de même que les interrogations sur la possibilité que cette nouvelle technologie sociale vienne compromettre la sécurité des personnes. Selon une « histoire sociale du téléphone », cet instrument posait plusieurs problèmes de respect de la vie privée : « Les messages arrivent sans être sollicités, les bruits de fond révèlent à l’appelant des détails intimes du foyer, les interlocuteurs ne peuvent ni se préparer ni réfléchir à la discussion comme dans le cas d’une lettre, les voix des correspondants sont dissociées du contexte » (Claude S. Fischer, America Calling).

DU TÉLÉPHONE À FACEBOOK

Aujourd’hui, les mêmes préoccupations nous animent au sujet d’Internet, en particulier pendant la dernière décennie puisque tout un éventail de services de réseaux sociaux et d’autres formes de médias sociaux ont fait leur apparition. Les réseaux sociaux en ligne nous poussent-ils à la paresse ? À exposer sans contrôle notre vie privée ? Parasitent-ils nos relations et changent-ils fondamentalement la nature même de l’intimité ?

Dans un livre présentant une vision résolument sombre de la technologie sociale, la psychanalyste Sherry Turkle écrit que « la technologie nous charme lorsque ce qu’elle a à nous offrir parle à notre fragilité humaine » (Seuls ensemble). Faisant écho aux inquiétudes passées à propos du téléphone, elle explique que « notre vie en réseau nous permet de nous cacher les uns des autres, tout en étant étroitement connectés ». Et, selon elle, grandir ainsi connectés nous « incite à établir des liens narcissiques au monde ».

Beaucoup en conviendront et les interactions en ligne ne manquent pas de démonstrations de comportement narcissique. Cependant, est-ce « notre vie en réseau » qui nous y incite ? Et la situation est-elle propre à l’ère de l’Internet ? Pour le chercheur en nouveaux médias Alex Lambert, les arguments de ce genre naissent d’une mauvaise dichotomie, une sorte de schéma simple, noir ou blanc, qui nous dispense de débrancher notre pilote automatique mental pour rechercher nuances ou complexités. Selon lui, ceux pour qui le narcissisme accompagne forcément les réseaux sociaux voient la vie en termes de « privé » ou « public », estimant que les relations intimes ne peuvent se nourrir que d’interactions privées. Dans cette hypothèse, seuls les individus qui ont une vraie intimité peuvent réellement être amis, et comme nous ne pouvons être vraiment intimes qu’avec un petit nombre de personnes, les connaissances qui composent notre communauté ne peuvent pas être de véritables amis. Lambert explique qu’une « amitié publique » étant considérée comme un oxymore, nous sommes amenés à des conclusions simplistes sur le fait que les plateformes publiques de relations sociales sont intrinsèquement bonnes ou mauvaises. Par conséquent, si nos réseaux de connexions publiques sont étendus, forcément nous sommes narcissiques ou nous ne savons pas ce qu’est une véritable amitié.

Cependant, Lambert demande s’il n’existe que l’alternative entre intimité privée et communauté publique, sans rien entre les deux : « Pouvons-nous distinguer des compréhensions combinées, plus nuancées et contextualisées de la socialité publique pour nous dégager de cette dichotomie restrictive ? »

Bien sûr, les dichotomies n’attirent pas uniquement des critiques sociales. Elles sont cautionnées presque automatiquement au quotidien : si nous ne sommes pas joyeux, nous devons être tristes ; si nous ne sommes pas extravertis, nous sommes obligatoirement introvertis ; si nous ne sommes pas repus, nous avons encore faim.

« Désintoxiquez votre vie en vous débarrassant des amis factices, des boulots sans avenir et de ceux qui se disent des partenaires pour la vie », suggérait récemment un billet qui circulait sur Facebook. « Personne n’est neutre, commentait l’auteur. Soit les gens vous aident à avancer, soit ils vous en empêchent ! »

« Les réseaux sociaux [...] sont toujours là, exerçant une influence à la fois subtile et intense sur nos choix, nos actes, nos pensées, nos sentiments, et même nos désirs. »

Nicholas A. Christakis et James H. Fowler, Connected

A priori, l’idée semble tout à fait raisonnable et elle est emballée avec juste le genre de concepts en noir et blanc qui conviennent aux processus automatiques du cerveau. Nous pouvons facilement supposer que, si quelqu’un n’est pas un ami proche, il n’a rien de souhaitable. Ou que, si nous rencontrons des difficultés dans notre travail ou nos relations, notre seule option est forcément de partir pour trouver mieux ailleurs.

Quelques secondes de réflexion suffisent pour mettre à nu l’incohérence des deux postulats et, par là même, de l’hypothèse que personne ne peut être neutre dans la vie de quelqu’un. Pour supposer que les membres de votre réseau social ne peuvent que vous faire avancer ou vous en empêcher, il faut s’intéresser exclusivement à leur manière d’influencer vos objectifs et aspirations, démarches aux relents narcissiques, soit dit en passant, même si elle pousse à diminuer le nombre d’amis publics au lieu de les collectionner. De même qu’il y a de bonnes raisons de prendre des dispositions pour améliorer les schémas relationnels à la maison ou au travail avant de partir, il y a des choses à dire pour offrir un soutien et son amitié à des personnes qui en ont plus besoin que vous n’avez besoin d’elles. Comme les sociologues nous le répètent depuis des décennies, les liens sociaux occasionnels, et même latents, présentent des avantages qui n’ont guère à voir avec les bénéfices que nous semblons peut-être tirer de cette connexion à première vue. Par exemple, avoir des liens latents peut accroître ce que les chercheurs appellent le capital social « relationnel », qui nous relie à ceux qui peuvent nous aider à changer de travail ou à trouver des informations qui n’ont pas encore filtré dans notre réseau de liens sociaux plus forts. Et nous pouvons procurer des atouts similaires en retour.

DES VIRAGES TECHNOLOGIQUES À NÉGOCIER

La vulnérabilité face aux fausses dichotomies, à une éthique mouvante et à des modes relationnels narcissiques est inéluctable pour un être humain. Ces pièges et d’autres se trouvent en abondance sur Internet sans doute parce qu’ils existent tout autant hors du Net, étant un effet indésirable de la nature humaine.

Donnant du poids à cette possibilité, Fischer réfute la forme de « déterminisme technologique » selon laquelle les caractéristiques des objets, tels que les voitures et les téléphones, seraient transférables à leurs utilisateurs. D’après Fischer, ce raisonnement reviendrait à être convaincu qu’une métaphore a pris vie. Effectivement, il est possible qu’une intrusion téléphonique pressante dans la paisible intégrité du foyer puisse marquer les gens d’une sensation d’urgence, d’angoisse et d’impuissance. Mais « le téléphone peut également favoriser la tranquillité puisque, grâce à ses appels, nous sommes rassurés de savoir nos rendez-vous fixés et nos êtres chers sains et saufs ».

Bien sûr, à certains moments, la sonnerie insistante du téléphone est intrusive mais la sociologue des médias Deborah Chambers indique que l’avènement de nouveaux médias a procuré un sentiment de contrôle accru : nous disposons désormais de la possibilité d’atteindre des formes de connexion plus intimes par des moyens moins immédiatement pressants. L’envoi de textos, les échanges par Facebook ou d’autres types de messagerie ont un aspect prévenant et discret, explique-t-elle, ce qui permet aux utilisateurs d’organiser leurs conversations téléphoniques à un horaire qui convient aux deux interlocuteurs. L’auteure ajoute que différentes technologies servent aussi différentes finalités sociales, nous donnant ainsi la capacité d’affiner notre discernement lorsque nous décidons si et quand nous accordons à d’autres un accès social par des moyens plus intimes.

Quand bien même, les nouvelles technologies menacent forcément notre sentiment de contrôle, par exemple, en matière de vie privée sociale ou de comportement social approprié vis-à-vis des autres. Avec chaque nouvelle technologie, nous sommes confrontés à la nécessité d’apprendre de nouveaux moyens de relever ces défis. Souvent, nous le faisons grâce à l’ajout de conventions d’utilisation, qui évoluent au fur et à mesure de l’apparition de chaque défi. Une fois l’obstacle surmonté, nous ne pouvons qu’admettre que nous sommes déjà passés par là. Pour bien le comprendre, il suffit de transposer le contexte du téléphone à celui d’Internet dans les citations suivantes de Fischer.

« Dr Jekyll et Mr Hyde au téléphone », titrait une publicité de Bell en 1910. Elle concluait : « Le magnifique essor de Bell System a universalisé l’usage du téléphone et fait de sa mauvaise utilisation une question d’intérêt public. »

« Je crois en la Règle d’or et j’essaierai d’être aussi courtois et attentionné au téléphone que face à la personne », annonçait « Le Serment de l’abonné » distribué par la compagnie téléphonique.

Toutes les conventions d’utilisation ne sont pas aussi parfaitement transférables d’une technologie à l’autre (« Parlez directement dans le microphone, sans que votre moustache touche l’ouverture », recommandait un manuel d’instructions téléphoniques). Cependant, les inquiétudes fondamentales ne changent pas énormément. La Règle d’or, concept biblique visant à faire bénéficier à autrui du même traitement que celui que nous espérons recevoir, reste la solution pour bien négocier tous les virages des technologies sociales.

« Pour la plupart, nous avons déjà conscience de notre impact direct sur nos amis et notre famille. Nos actes peuvent leur apporter bonheur ou tristesse, santé ou maladie, même richesse ou pauvreté. Mais nous envisageons rarement que tout ce que nous pensons, ressentons, faisons ou disons peut se répandre bien au-delà des personnes que nous connaissons. »

Nicholas A. Christakis et James H. Fowler Connected

C’est souvent là qu’est la difficulté, bien sûr. La logique sociale de chaque espace technologique spécifique où se déroulent nos interactions peut ne pas être évidente. Comment une technologie sera-t-elle employée, et où s’inscrira-t-elle dans notre vie sociale ? Dans quelle mesure sera-t-elle publique ou privée ? C’est très important pour déterminer comment nous l’utiliserons. Tout comme, logiquement, nous nous exprimons peut-être de façon plus réservée dans des restaurants ou des lieux publics que nous le ferions avec des amis intimes sur notre propre « terrain » à la maison, certains espaces en ligne nécessitent que nous nous rappelions régulièrement que nous sommes exposés à un public plus large ou simplement différent.

IDENTITÉ PUBLIQUE, IDENTITÉ PRIVÉE

Malheureusement, les facettes les plus négligentes de notre nature nous amènent parfois à faire des erreurs avant que nous commencions à comprendre toutes les implications sociales de chaque nouvelle technologie. Cependant, en nous familiarisant avec les limites de la vie privée dans les espaces en ligne, nous pouvons apprendre peu à peu comment appliquer la Règle d’or, même quand la frontière entre connexions sociales privées et publiques semble floue.

Comme exemple de ce type d’apprentissage, on peut citer l’évolution des normes sociales liées à la publication des photographies sur Facebook. Emily Post n’avait pas jugé nécessaire d’inclure des chapitres sur la diffusion des photographies, dans les éditions précédentes de ses célèbres ouvrages sur le savoir-vivre, mais ses descendants, reprenant successivement son héritage, ont dû absorber quelques mutations technologiques majeures pendant leur vie. On dit de son arrière-arrière-petit-fils, Daniel Post Senning, qu’il était très friand d’innovations technologiques ; le reste de la famille l’a donc évidemment choisi pour écrire le livre sur les usages dans le monde numérique pour bien vivre en ligne (Emily Post’s Manners in a Digital World: Living Well Online). Comme l’indiquait sa cousine Anna dans la préface du manuel, « nous sommes toujours en train d’établir les bons usages numériques dont nous avons besoin et d’apprendre les conséquences de vivre sans eux ».

Le chapitre 8 est entièrement consacré à la publication des photographies, en partant de plusieurs règles élémentaires : « Respectez les droits d’auteur. Ne prenez jamais une photographie de quelqu’un sans qu’il le sache. Demandez toujours au sujet la permission de publier une photo. [...] Ne publiez jamais de photographie qui pourrait être embarrassante pour quelqu’un, aujourd’hui ou à l’avenir. [...] Ne publiez et n’étiquetez jamais de photos d’enfants d’autres personnes sans autorisation parentale. »

L’étiquetage [tagging], pour ceux qui ignorent cette pratique, est un moyen électronique de mettre un nom sur les visages qui figurent sur les photos en ligne. Avant d’identifier quiconque, Senning souligne qu’il « serait bon de vous demander : “Si j’étais cette personne, qu’est-ce que je ressentirais en sachant cette image dans le domaine public ?” Utilisez alors une norme un peu plus stricte que celle qui vous vous appliqueriez à vous-même. [...] Si quelqu’un vous demande de supprimer une étiquette ou de retirer une photo, vous devez le faire sans délai. »

Avant Internet, nous pouvions laisser presque n’importe quelle photographie festive dans un album personnel sur notre table de salon sans demander la permission aux personnes qui y figuraient ; il y aurait eu peu de probabilités que quiconque appartenant aux zones reculées de leurs sphères sociales puisse la voir. Mais alors, dans nos interactions hors ligne, nous pouvons bien mieux contrôler ceux de nos cercles relationnels qui sont privés vis-à-vis de tel ou tel pan de notre existence. Différents degrés d’amitié peuvent être gardés nettement séparés, et nous instillons les informations à chacun comme nous l’entendons.

À l’inverse, bien que les technologies en ligne proposent diverses options de filtrage, de nombreux groupes sociaux empiètent sur nos murs Facebook. Il serait peut-être utile de voir un mur Facebook comme une place publique dans une ville plutôt que comme une fête dans le jardin d’une maison. Vous n’en voudrez peut-être pas à votre grand-tante Mathilda de vous rappeler en tête-à-tête le dîner où vous aviez mangé jusqu’à faire sauter trois boutons de votre chemise, mais vous ne voudriez sans doute pas qu’elle raconte cette histoire devant votre charmante collègue. Manifestement, l’application de la Règle d’or dans le cadre public des réseaux sociaux en ligne exige une sensibilité attentive à la diversité de nos auditoires (et des auditoires de nos amis), ainsi qu’une compréhension de ce qui pourrait offenser les uns ou les autres.

Comprendre l’ampleur de cette diversité pourrait aussi nous aider à construire une identité plus cohérente, en contribuant peut-être à définir plus harmonieusement qui nous sommes. Sommes-nous aimables, patients et résilients dans tous nos cercles relationnels ? Ou bien égocentriques et paranoïaques ? Des études concluent que nos forces et faiblesses individuelles transparaissent clairement dans notre personnalité numérique.

Néanmoins, certains se sont inquiétés que les réseaux sociaux en ligne tels que Facebook puissent nous inciter à présenter au monde une identité soigneusement composée dont le résultat serait la disparition du moi réel, au lieu d’une identité plus cohérente. Cependant comme Lambert le souligne, « les utilisateurs de Facebook ne bénéficient pas d’une maîtrise sans borne de leur auto-présentation » ; votre mère, votre cousin et vos copains d’école sont connectés avec vous sur Facebook, mais peuvent aussi être en relation hors ligne les uns avec les autres. Ce « public biographique » sait qui vous êtes et exerce une « force normalisatrice », suggère Lambert. C’est peut-être pourquoi les études montrent régulièrement que les profils sur Facebook correspondent relativement bien aux personnalités réelles des utilisateurs plutôt qu’à une sorte d’auto-présentation idéalisée.

Selon certains, le problème pourrait se poser pour les jeunes qui sont encore en train de découvrir qui ils sont. Si plusieurs cercles, chacun étant à lui seul une force normalisatrice, constituent désormais un seul public, la formation de l’identité va-t-elle stagner ? Lambert cite une chercheuse : « au lieu d’avoir la possibilité d’expérimenter plusieurs identités, les jeunes se retrouvent obligés de présenter une identité restreinte et uniforme à des publics multiples, des publics qui, auparavant, auraient pu être séparés. » Ce qui suppose, bien sûr, que nous avons toujours connu le luxe de publics multiples face auxquels nous pouvions essayer de revêtir des identités distinctes… Que dire alors de l’époque où nos cercles étaient plus réduits, moins sélectifs par âge, et moins mobiles ? Ne serait-il pas franchement utile pour les jeunes de disposer de forces normalisatrices qui les guident vers un sentiment cohérent de qui ils sont ?

RELATIONS, EN LIGNE OU PAS

Certains défis associés aux réseaux sociaux en ligne ne sont peut-être pas aussi nouveaux que nous le pensons. Bien avant Facebook, des commentateurs de la société prédisaient que chaque nouvelle ère mènerait à la mort de l’intimité et de la cohésion sociale. Nous avons assurément perdu des choses en quittant nos communautés rurales pour des centres urbains, même si nous en avons gagné d’autres. De même, les nouvelles technologies sociales s’accompagnent de pièges potentiels mais, d’une certaine manière, elles nous ont peut-être ramenés à notre point de départ, là où nous pourrions prendre le temps avant de dire ou de faire publiquement quelque chose qui déplairait à Tante Mathilda parce que, là encore, il existe une possibilité très réelle qu’elle l’apprenne. Nos allées et venues ne sont plus aussi invisibles que quand nous étions sous la cape de l’anonymat de la grande ville, tandis que Tante Mathilda était dans sa campagne lointaine, sans être notre amie sur Facebook.

Bien sûr, il reste de nombreuses sphères sociales qui ne sont pas aussi publiques que Facebook, qu’elles se trouvent en ligne ou pas. Internet n’a pas tué notre désir de relations privées et intimes, disent les chercheurs ; nous nous y consacrons encore activement. En fait, des études ont établi que les utilisateurs d’Internet ont tendance à être encore plus connectés à leurs relations hors ligne que les non-utilisateurs. Nous n’avons pas non plus perdu la notion de communauté. Les deux concepts ne nous ont jamais quittés, et il apparaît qu’ils ne le feront jamais parce que le contact nous motive. Nous emploierons tous les outils à notre disposition. Nous sommes avant tout des êtres sociaux ; l’idée d’être seul au monde est inconcevable pour nous. Et compte tenu de ce que nous savons d’un esprit sain, il faut qu’il en soit ainsi.

Néanmoins, si nous avons besoin d’interactions humaines, il faut noter que tout le monde ne tient pas à employer la technologie à cet usage. Nous avons tous nos préférences pour satisfaire ce besoin fondamental, ainsi que des niveaux de confort différents quand il s’agit d’y répondre dans des contextes nouveaux. Certains environnements peuvent même être problématiques pour certaines personnes. Par exemple, les individus fragiles face aux addictions peuvent être aussi vulnérables à la dose neurochimique procurée par leur appareil qu’ils le sont au jeu ou à d’autres plaisirs.

« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux. »

Matthieu 7 : 12

Quel que soit le contexte que nous choisissons, la conséquence normale de notre besoin relationnel est que nous nous influençons mutuellement, que ce soit de façon positive ou négative, et cet aspect, plus que les technologies utilisées, est au cœur de nos interactions sociales. Quand nos communautés sont fragiles, c’est parce que nous n’avons pas pris le temps de soigner nos amitiés, ou que nous avons cédé à des modes relationnels néfastes. Vis-à-vis de ces problèmes, nous sommes aussi vulnérables quand nous communiquons face à face que quand nous nous connectons via n’importe quelle technologie disponible ; de plus, leurs répercussions sont durables, pas seulement sur notre santé mentale individuelle mais sur la santé collective de notre société.

Pour espérer utiliser la technologie de façon constructive, nous pourrions nous consacrer à faire des réseaux sociaux en ligne un lieu d’entraînement pour apprendre les compétences sociales publiques, un peu comme les tout-petits se servent de leur fratrie ou de leurs copains de jeux comme partenaires d’entraînement pour leur apprentissage des compétences sociales interpersonnelles ou intimes. Le but des connexions avec autrui, que ce soit en ligne ou pas, est de développer des relations positives. Aussi tentant que ce soit d’accuser la technologie quand nous échouons dans ce domaine, les preuves suggèrent que c’est plutôt nous qui sommes plus personnellement les architectes de notre propre destruction. Il suffit de jeter un coup d’œil en arrière sur notre histoire pour confirmer que nous l’avons toujours été.