Développer de la résilience dans un monde agité

« Je sais que je dois m’occuper de ça pour guérir », dit une femme que nous appellerons Sophie. « Mais parfois j’ai aussi besoin de m’en distancer. J’ai eu des flash-back très pénibles. Les souvenirs sont tellement vifs. Je ressens vraiment de nouveau la douleur physique. » Sophie souffre de dépression et on lui a diagnostiqué le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), résultant d’expériences qu’elle a eues lors de son enfance et qu’elle préfère ne pas raconter. Même si Sophie se sent seule, elle ne l’est pas selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un nombre important de personnes sont également prises dans cette bataille.

Dans son rapport annuel des Statistiques sanitaires mondiales de 2007, l’OMS écrit que « la dépression est un problème de santé publique majeur dans le monde entier » à la fois au niveau de sa fréquence d’apparition et de ses effets divers. Pire encore, l’OMS insiste sur le fait qu’il existe de nouvelles recherches qui prouvent que le SSTP est plus présent et a des conséquences bien plus sérieuses que ce que l’on croyait auparavant. De tels rapports alimentent l’opinion répandue selon laquelle le stress – et la dépression liée à l’angoisse - ont connu une très forte augmentation ces dernières décennies.

Pour compliquer le problème, les attaques terroristes ont touché les nations occidentales plus directement que jamais, et les gouvernements et les médias ne semblent pas trop réticents à jouer sur la peur engendrée chez les gens.

« Une société qui protègerait au mieux ses membres du chagrin et de la dépression organiserait ses relations de manière à ce qu’elles soient des liens aussi stables, prévisibles, compréhensibles et soigneux que ça puisse l’être au niveau humain. »

Peter Marris, « The Social Construction of Uncertainty »

À cause de telles préoccupations, les communautés aimeraient bien savoir comment préparer les gens à des évènements psychologiquement stressants et comment augmenter leur potentiel de guérison. Les chercheurs, de leur côté, travaillent d’arrache-pied pour trouver quelles sont les caractéristiques que partagent les personnes qui ont une plus grande capacité à faire face au stress et à la dépression, espérant pouvoir aider les autres à devenir plus résistants au stress.

Mais est-il vraiment possible de changer la résilience humaine ? Certaines personnalités ne sont-elles pas naturellement plus optimistes que les autres ? Est-il possible de faire quelque chose au niveau individuel pour encourager une bonne santé émotionnelle  les utres à ne semblent pas dans un monde de plus en plus agité ?

Il est vrai que certains naissent avec une attitude naturellement positive, et cet optimisme est considéré comme un facteur clé dans la résilience. Mais les chercheurs savent à présent que de nouvelles expériences et des relations d’un grand soutien peuvent littéralement changer la structure du cerveau. Ceci a aidé les psychologues à comprendre que l’optimisme et la résilience peuvent se construire, et que les adultes et les enfants peuvent, en effet, être « vaccinés » contre la dépression – du moins jusqu’à un certain point.isme et la réitimisme et la réitture du cerveau.

Cependant, malgré cette bonne nouvelle, développer de la résilience n’est pas un accomplissement héroïque personnel, comme la culture occidentale individualiste et ces nouvelles découvertes pourraient nous faire croire. On ne devient pas le genre de personne qui peut survivre à l’adversité simplement en prenant la ferme décision de se hisser tout seul à la force du poignet. En fait, certains chercheurs affirment que développer de la résilience est pratiquement impossible en dehors de l’influence protectrice de relations interpersonnelles positives.

Louis Cozolino, auteur de The Neuroscience of Human Relationships (la neuroscience des relations humaines) est du même avis. « Dans le passé, les gens ont presque toujours vécu dans des groupes de 50 à 70 personnes et nous étions liés à différentes générations et différentes personnes », a-t-il confié à Vision. « Mais dans notre société, l’accent est mis sur l’individualisme. J’ai le sentiment que l’augmentation de troubles mentaux que nous observons est liée à ce facteur. C’est difficile de le prouver parce que nous ne pouvons pas revenir dans le temps, et nous pouvons seulement deviner qu’il y a plus de cas de dépression aujourd’hui qu’autrefois. Mais nous pouvons réunir des arguments irréfutables allant dans cette direction. »d'hui qu'autrefois. rfois.er qu'il y a plus de cas de dépression quajourd'hui au'autrfois.

En plus des idéaux individualistes occidentaux – ou peut-être à cause d’eux – il existe d’autres facteurs qui contribuent à l’augmentation perçue dans la fréquence de la dépression et du SSPT.

De nombreux aspects des hypothèses de John Bowlby concernant l’attachement de l’enfant et ses effets sur le développement du cerveau, publiées en 1969, sont à présent confirmés par les neuroscientifiques. Tout comme les humains ont besoin d’éléments nutritifs lors de l’enfance pour développer des corps adultes sains, nous avons également besoin de relations nutritives lors de l’enfance pour développer une attitude mentale saine. Selon Cozolino, « la formation optimale du cortex préfrontal grâce à de bonnes relations précoces nous permet de penser du bien des autres, de faire confiance aux autres, de réguler nos émotions, de maintenir des attentes positives et d’utiliser notre intelligence intellectuelle et émotionnelle dans la résolution de problèmes du moment ».

En revanche, lorsque ces parties du cerveau ne se sont pas développées correctement, il y a de fortes chances que nous ayons des problèmes pour contrôler la dépression, la négativité et l’angoisse, parce que la régulation du circuit de l’angoisse dépend énormément du processus d’attachement. Cozolino voit un lien direct de cause à effet dans son cabinet : « Lorsque vous avez un attachement insuffisant – et la société n’est pas organisée de manière à donner aux gens le temps et l’espace d’être avec leurs enfants afin de créer cet attachement – alors je pense que les enfants sont plus vulnérables. Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait beaucoup de sécurité dans l’attachement, et certainement pas chez les gens avec qui je travaille. »

« Les enfants deviennent résilients à la suite des modèles de stress et d’éducation qu’ils ont connus au stade précoce de leur vie. »

Bruce D. Perry et Maia Szalavitz, The Boy Who Was Raised as a Dog (2006)

En prenant en compte ces facteurs, il est facile de voir pourquoi les relations positives précoces aident à déterminer le niveau de résilience qu’auront les adultes. Mais les attachements précoces ne sont pas les seuls à affecter la résilience psychologique. Parmi les autres liens adultes, les engagements comme le mariage peuvent avoir un effet similaire aux attachements de l’enfance, affirment les sociologues. En fait, selon Cozolino, « les recherches montrent que si quelqu’un ayant un attachement peu sûr épouse une personne ayant un attachement sûr, il y a, après cinq ans environ, un changement dans leur modèle d’attachement vers un profil plus sûr. »

Même si les sociologues reconnaissent que même les liens existant avec les collègues, amis et une communauté plus élargie peut avoir un effet positif sur la santé mentale des personnes qui souffrent de stress, dans la situation idéale le berceau de la résilience est la famille – la première source d’attachement, de soutien affectueux et d’exemples comportementaux clairs pour un individu. Mais si les parents sont indisponibles ou incapables pour une raison ou pour une autre, d’autres relations proches – grands-parents, tantes, oncles, ou mêmes des frères et soeurs plus âgés – peuvent pourvoir à ce besoin et contribuer à rétablir un modèle de résilience.

Froma Walsh est professeur en gestion de services sociaux et psychiatrie à l’Université de Chicago. Ses domaines d’expertise incluent les études de famille et la thérapie familiale, et elle a écrit de nombreux livres sur le sujet de la résilience. Dans son livre de 2006 intitulé Strengthening Family Resilience (renforcer la résilience familiale), elle fait remarquer que « nous en sommes venus à comprendre que la résilience est une interaction permanente entre l’inné et l’acquis, encouragée par des relations d’un grand soutien […] Les liens interpersonnels jouent un rôle majeur dans le modelage des liens neuronaux dans l’esprit naissant ».

Walsh affirme que les relations familiales modèlent de différente façon les bases de la résilience dans des périodes de stress ou de traumatismes : « Les systèmes de croyances communes transmis par les interactions familiales sont de fortes influences dans la résilience. L’adaptation des enfants à des évènements de crise et des transitions perturbatrices est influencée par la signification de l’expérience, qui est arbitrée par la compréhension des parents et la communication. »

Les systèmes de croyance commune que Walsh considère comme des éléments clés dans la résilience familiale englobent trois domaines largement étudiés : trouver un sens au malheur, maintenir une attitude positive, et trouver un but au-delà de soi-même, de la famille et des problèmes grâce à des convictions spirituelles. Aussi simples que ces éléments puissent paraître, chacun de ces sujets vaut la peine d’être exploré de manière plus approfondie. sité ; nt étudiés: a cmin de l'expériencesychologique.

Trouver un sens au malheur

« Un sujet traumatisé peut être tellement submergé et inondé d’informations qu’il ne peut répondre à un monde déroutant », déclare le psychologue français Boris Cyrulnik. « La violence qui n’a pas de sens signifie que la mort n’est jamais bien loin. Les taupinières ressemblent à des montagnes et le monde perd de sa clarté […] Tant que le traumatisme n’a pas de sens, nous sommes consternés, stupéfaits et embrouillés par une tornade d’informations contradictoires […] Mais, vu que nous sommes obligés de donner un sens aux phénomènes et objets qui nous « parlent », nous avons un moyen de chasser la confusion qui arrive lorsque nous connaissons un traumatisme psychologique,– et ce par la narration. »

La narration, ou l’histoire mentale que nous fabriquons pour expliquer aux autres nos malheurs, a été considérée depuis longtemps par les psychologues comme étant une étape importante pour vaincre ces malheurs. C’est essentiellement la raison pour laquelle les gens sont encouragés à parler des choses qui leur arrivent – pas seulement pour « dire ce que l’on a sur le cœur », ou pour faire preuve d’une certaine indépendance émotionnelle – mais parce que le fait d’exprimer nos traumatismes nous force à les mettre dans leur contexte et à leur donner un sens.

Cyrulnik admet que toutes les narrations ne peuvent être partagées avec les autres. « Parfois le témoin n’existe que dans l’imagination du sujet blessé, qui parle à un auditeur virtuel en se racontant lui-même l’histoire. »

Quelque soit la manière et la personne à qui l’histoire est racontée, cette dernière doit contenir certains ingrédients pour faciliter la résilience. Selon des chercheurs du Centre hospitalier universitaire Hadassah de Jérusalem, font partie de ces ingrédients la continuité et la cohérence, la création d’un sens et l’autoévaluation. Dans leur étude réalisée en 2004 sur l’utilisation de la narration pour faire face à un traumatisme, les chercheurs (tous les six étant basés au Centre de stress traumatique de l’hôpital) ont trouvé que « lorsque la narration était bien construite, avec une histoire cohérente, du sens et une image de soi positive, les niveaux de syndrome de stress post-traumatique étaient inférieurs ».

Par « image de soi positive », les chercheurs ne faisaient pas référence à la caresse de l’ego simpliste et infondée qui caractérise pratiquement tout le mouvement populaire d’amour-propre de ce dernier demi-siècle. La définition d’image de soi positive que donne cette étude est plus concrète et implique l’évaluation de son propre rôle dans le malheur en termes de niveau de contrôle, de sentiment de culpabilité ou de responsabilité, et concernant le fait d’être actif ou passif.

Ceci nous amène à une distinction importante qui doit être faite entre la version populaire de l’amour-propre et le genre d’autoévaluation positive qui donne un sens à nos malheurs. Pour reprendre les mots du psychologue Martin Seligman, il s’agit de « se sentir bien par opposition à bien réussir ». Dans son livre The Optimistic Child: A Proven Program to Safeguard Children Against Depression and Build Lifelong Resilience, (l’enfant optimiste : un programme ayant fait ses preuves pour protéger les enfants de la dépression et construire une résilience qui dure toute une vie) Seligman note qu’« il n’existe aucune technologie efficace pour enseigner comment aller bien sans auparavant enseigner comment bien réussir. Les sentiments d’amour-propre en particulier, et de bonheur en général, se développent comme des effets secondaires aux fait de relever des défis avec succès, de travailler avec succès, de vaincre la frustration et l’ennui et de gagner. Le sentiment d’amour-propre est une conséquence du fait de bien réussir ».

Cet aspect de l’action dans la réussite, que Seligman considère comme un élément de base dans l’amour-propre, rejaillit également dans l’étude réalisée au Centre hospitalier universitaire Hadassah. Les chercheurs ont noté qu’un certain degré de contrôle actif est un facteur important lorsque l’on fait face à un traumatisme : « Ceux qui ont pu sentir leur entremise et maîtrise, pendant et après l’évènement, ont mieux fait face et ont traité les évènements d’une manière plus productive. »

Walsh reconnaît ceci et place l’autoévaluation dans le contexte de la résilience familiale lorsqu’elle ajoute que le meilleur genre de signification est basé sur la compréhension des limites humaines. « Personne n’est totalement sans défense ou tout-puissant dans chaque situation », affirme-t-elle.a compréhension des limites humaines. sé sururagsr  « L’amour-propre vient du fait d’exercer une compétence relative, plutôt qu’un contrôle absolu, dans la gestion d’une situation de défi. » En fait, lorsque chaque membre d’une famille peut être réaliste concernant ses propres forces et limites, ainsi que celles des autres membres de la famille, l’histoire partagée qui ressort de leur malheur aura probablement plus de signification.

Maintenir une attitude positive

Une vue réaliste de ses forces et de ses faiblesses peut, de prime abord, ne pas sembler compatible avec la deuxième clé de la résilience familiale, qui est de maintenir une attitude positive. Le mot optimisme peut évoquer les images du classique livre pour enfants Pollyanna et le « jeu de la joie » positif et permanent de son personnage principal. Mais selon Seligman, le bon genre d’optimisme n’est ni appliqué de manière aveugle ni irréaliste. Il recommande au contraire ce qu’il appelle un « optimisme flexible », qui doit être pratiqué avec une dose saine de réalisme et de bon sens, et lorsque le prix de l’échec est bas.

Par exemple, si vous pensez traverser une rivière infestée d’alligators à gué, il est sans doute stupide de fonder votre décision sur l’espoir optimiste que les reptiles feront leur sieste pendant que vous traverserez. Néanmoins, dans un dialogue familial ayant lieu après un malheur, l’optimisme est parfaitement approprié. Estimer qu’une situation n’est pas désespérée ne fera de mal à personne et aidera certainement. En fait, lorsque l’optimisme est solidement ancré dans la réalité, il nous permet de reconnaître les revers et de les considérer comme des occasions de grandir. Par exemple, quelqu’un qui fait preuve d’optimisme flexible peut se dire : « Ma femme n’a pas apprécié une chose que j’ai dite, mais j’ai appris à ne plus dire ce genre de chose à l’avenir », plutôt que de dire : « Ma femme n’est pas juste et on ne peut jamais la contenter. »

La deuxième théorie de la réalité a pour origine le genre de pensée qui considère les causes de l’adversité comme permanentes et omniprésentes. S’il est « impossible » de contenter quelqu’un, nous sommes tirés d’affaire. Nous ne sommes pas motivés à changer nos actions parce que nous ne croyons pas que le fait de changer nos actions fera une différence, aujourd’hui ou plus tard. Par conséquent, nous ne connaissons pas le sens de la maîtrise qui pourrait nous aider à rebondir des difficultés, et nous devenons davantage prédisposés à la dépression.

D’un autre côté, Seligman dit que lorsque nous croyons que les causes des évènements négatifs sont temporaires, nous avons alors une base sur laquelle nous pouvons fonder notre espoir que l’avenir sera plus radieux, malgré ce que nous traversons sur le moment. Nous sommes également motivés à changer tout ce qui est nécessaire pour s’assurer que l’avenir soit meilleur. La propre maîtrise qui résulte de ces changements que nous effectuons nourrit le vrai genre d’amour-propre, et nous entrons dans une dynamique ascendante et non descendante.

Une autre dimension de l’optimisme relatif à la résilience familiale implique comment (et à qui) la responsabilité est attribuée. Accepter le blâme pour des revers ou même des expériences traumatisantes peut être un mécanisme utile pour faire face, mais ce n’est thérapeutique que si la victime avait réellement un certain contrôle. Accepter le blâme sans l’avoir mérité est terriblement destructif, surtout sous la forme de déclarations par trop générales telles que : « Ceci est arrivé parce que je suis stupide ; je ne vaux rien ». C’est tout aussi destructif d’attribuer ce genre de responsabilité générale aux autres : « J’ai échoué parce que tout le monde veut ma peau. Ils ne veulent pas que je réussisse et ils ne permettront jamais que j’aie du succès. » Les familles limitent aussi leur résilience collective lorsque leurs membres se définissent les uns les autres par des généralités rapides : « Jean ne finit jamais ce qu’il commence », ou « mon mari ne peut jamais garder une situation ».

Par opposition, Walsh observe que « les membres de familles résilientes  se rejettent étonnamment peu souvent la faute les uns sur les autres, commettent peu d’attaques personnelles et cherchent rarement des boucs émissaires ». Les membres assument la responsabilité de leurs propres sentiments et actions et reconnaissent leur contribution dans les difficultés ». En reconnaissant également les forces et les contributions des uns et des autres, la croyance commune de la famille selon laquelle ils ne sont pas impuissants est renforcée. Par conséquent, la motivation de persévérer dans l’adversité augmente parce que le fait de croire que le changement est possible encourage les gens à essayer encore et encore jusqu’à ce qu’il y ait un changement. Lorsque ces tentatives finissent par produire une croissance, il devient plus facile pour les membres de la famille de considérer l’adversité comme le résultat de nombreuses variables temporaires plutôt que d’une seule cause, ce qui peut renforcer l’optimisme et par-là même la résolution de continuer à se battre.

Si l’optimisme est notre approche intérieure personnelle face à l’adversité, l’encouragement sera la manière dont cet optimisme sera manifesté vers l’extérieur lorsque nous aiderons les autres. Mais de la même manière que notre optimisme est vide s’il n’est pas fondé sur la réalité, l’encouragement donné aux autres est vide sans une base réaliste, et notre optimisme doit être à l’œuvre en nous pour espérer aider les autres de manière efficace. Comme Walsh le fait remarquer, « le mot ‘courage’ fait partie du mot ‘encouragement’. Le courage personnel est renforcé par l’encouragement venant de la famille, des amis et de la communauté ». Les relations positives sont aussi fondamentales pour le développement de l’optimisme personnel qu’elles ne le sont pour les autres aspects de la résilience.

Trouver un but au-delà de soi-même

Le dernier système de croyance commune que Walsh considère comme l’un des éléments clés dans la résilience familiale consiste à trouver un but en dehors de soi-même grâce à des croyances qui dépassent les limites des connaissances personnelles.

« Un système de valeurs transcendant nous permet de définir nos vies et nos relations avec les autres comme pleines de sens et significatives. Tout comme les individus se développent positivement dans des relations significatives, les familles prospèrent lorsqu’elles sont liées à des communautés plus importantes et à des systèmes de valeurs », écrit-elle. Pourquoi ? Walsh affirme que nous traitons mieux les risques liés à nos relations lorsque nous avons l’espoir qui provient d’une continuité et d’un but extérieurs à notre propre expérience. « Sans cette vision des choses plus globale, ou sans boussole morale, nous sommes plus vulnérables au sentiment d’impuissance et au désespoir », dit-elle.

C’est également l’avis de Dennis Charney, professeur de psychiatrie et de neuroscience à l’École de médecine Mount Sinai. Dans un article datant de 2006 et intitulé Primary Psychiatry, Charney, qui a largement contribué à la compréhension des mécanismes psychobiologiques de résilience au stress (parmi d’autres sujets apparentés), conclut que « le fait d’avoir une boussole morale ou un ensemble de croyances que peu de choses peuvent bouleverser peut aider une personne à traverser des périodes très difficiles. La foi ou la spiritualité ont des aspects communs avec la boussole morale, et pour certaines personnes elles peuvent réconforter et fournir un sens d’optimisme et d’espoir face à des situations difficiles ».

« Les leçons de la résilience sont aussi pertinentes pour les gens “normaux” que pour ceux qui luttent contre l’anxiété et la dépression. Pratiquement tout le monde peut accroître sa résilience dans certains aspects de sa vie physique et mentale. »

Dennis S. Charney et Charles B. Nemeroff, The Peace of Mind Prescription

Charney et Steven Southwick, professeur de psychiatrie à Yale, ont mené des études parmi des groupes de prisonniers de guerre du Vietnam, des femmes qui avaient subi des traumatismes sévères, y compris des abus sexuels, et des patients qui avaient vaincu différents problèmes de santé graves. Il a été constaté que ceux qui ont fait preuve de résilience – dans certains cas, devenant meilleur que seulement le fait de s’en sortir – partageaient de nombreuses caractéristiques communes, qui furent révélées par des interviews communes associées à des tests neuropsychologiques, dont l’imagerie cérébrale. Nombre de ces caractéristiques peuvent être considérés comme des aspects de ces deux clés de la résilience que nous avons déjà explorées. Mais en plus, Charney a trouvé que des caractéristiques comme l’altruisme et l’utilisation de modèles et de personnages héroïques ont énormément contribué à la résilience – et, bien sûr, ces caractéristiques sont des éléments communs des systèmes de croyances transcendants.

« Avoir une mission ou un but plus important que soi-même peut fournir une vision sur le long terme qui aide à garder le sens des proportions face aux frustrations, pertes ou problèmes quotidiens », écrit Charney dans son livre The Peace of Mind Prescription (2004). « Aider les autres semble conforter sa propre capacité à résister au stress ou à un traumatisme ».

Charney fait également remarquer que les gens n’ont pas vraiment besoin que des myriades de thérapeutes leur tombent dessus à la suite d’un traumatisme majeur. Ce qui aide le plus à accroître la résilience, c’est de maintenir les relations déjà établies, proches, fructueuses et de confiance que l’on a dans la famille ou avec des amis. Même lorsque la famille au sens littéral n’est pas disponible, de nombreuses personnes obtiennent ce genre de soutien par des systèmes de croyance transcendants, non seulement par leur implication dans des réseaux sociaux d’accompagnement, mais aussi des activités privées comme la prière et la méditation.

Les systèmes de croyance transcendants sont des plus puissants lorsqu’ils inspirent le changement et la croissance créative et personnelle plutôt que le blâme. Après tout, la souffrance est parfois le résultat d’une injustice et d’une violence absurde. La religion et la spiritualité laissent entrevoir un avenir prometteur au-delà de la difficulté présente, ce qui peut stimuler la guérison et la formation de la résilience.

« Les personnes résilientes croient que c’est une perte de temps et d’énergie d’être préoccupé par les regrets ou pris dans le châtiment ou dans le fait d’entretenir des blessures anciennes », déclare Walsh. « En apprenant de l’adversité, les familles résilientes croient que leurs épreuves les ont fait progresser vers un niveau qu’elles n’auraient pas atteint sans ces épreuves. »

En fait, ce concept de rassembler de la sagesse du passé et de penser à un avenir changé est sans doute le fil commun parmi les caractéristiques de la résilience. Le blâme,  l’amertume, l’impuissance, l’esprit de vengeance et l’anxiété se caractérisent tous par un focus placé sur le passé. Par opposition, les caractéristiques de la résilience – la créativité, la construction de relations, le changement, la croissance, la maîtrise, l’optimisme, l’altruisme, la narration, la boussole morale, les buts et les missions – exigent tous que nous regardions vers l’avant. Et tous ensemble ils produisent une autre caractéristique fascinante : l’espoir.

« À la suite d’une perte ou d’un traumatisme dévastateur, nous avons besoin d’aider les familles à retrouver l’espoir d’investir dans la  reconstruction de leurs vies et de revoir les espoirs et les rêves perdus. L’espoir est une croyance orientée vers l’avenir – quelle que soit l’état de désolation du présent, nous pouvons imaginer un avenir plus radieux », écrit Walsh.

Le psychologue du développement Erik H. Erikson a également parlé de l’importance psychologique de cette caractéristique : « L’espoir est à la fois la vertu la plus précoce et la plus indispensable propre à l’état d’être vivant. D’autres ont appelé cette qualité très profonde l’assurance, et j’ai mentionné la confiance comme étant l’attitude psychosociale positive la plus précoce, mais si la vie doit être maintenue, il faut que l’espoir perdure, même là où l’assurance est blessée et la confiance affaiblie. Les cliniciens savent qu’un adulte qui a perdu espoir régresse dans un état aussi végétatif qu’un organisme vivant puisse maintenir. »

Cet état blessé et régressif est très courant chez les personnes qui souffrent de dépression et de SSTP, mais il y a très certainement de l’espoir à offrir. Le changement est possible, et l’avenir très prometteur – surtout pour ceux qui s’accordent à penser que même nos pires expériences peuvent contenir les germes d’une croissance extraordinaire.

Sophie, avec qui nous avons débuté cet article, résume le combat personnel visant à retrouver espoir et qui doit être mené par ceux qui souffrent de dépression et de SSTP en ces termes : « Le mal est présent dans ce monde, un mal vraiment horrible. Mais je sais que ça ne sert à rien d’y penser. Même si certaines personnes sont comme ça, d’autres personnes peuvent aider, et m’aident à changer ma façon de penser. »