Israël en exil

Comme nous l’avons vu dans les épisodes précédents de cette série, dans l’antiquité, les Israélites furent prévenus dès l’époque de Moïse que l’idolâtrie mènerait la nation à sa chute. Pourtant, malgré des avertissements prophétiques similaires au cours des siècles suivants, ils choisirent d’adorer les dieux des nations voisines. Les conséquences étaient tout à fait prévisibles.

La dernière fois, nous notions le dérapage constant de l’Israël du Nord dans son allégeance à Dieu, notamment sous la domination de la maison de Jéhu durant la dernière moitié du neuvième siècle avant notre ère, jusqu’au règne de Joas (800‑784).

Un schéma similaire de compromission devint évident sous Amatsia, le nouveau souverain du royaume de Juda au Sud. Le roi juif « fit ce qui est droit aux yeux de l’Éternel » mais il ne fut pas totalement loyal car il ne supprima pas les autels et hauts lieux païens (sanctuaires érigés au sommet des collines), où le peuple continuait l’adoration. Il épargna à juste titre les enfants des assassins de son père, puisque la loi de Moïse stipule que l’on doit supporter les conséquences de ses péchés personnels. En revanche, après sa victoire sur les Édomites voisins, il ramena leurs divinités et se mit à les vénérer (2 Rois 14 : 1‑7 ; 2 Chroniques 25 : 1‑4, 14).

Malgré l’avertissement d’un prophète dont le nom n’est pas précisé, Amatsia tenait à suivre sa propre voie. Toutefois, le prophète savait que, dès cet instant, « Dieu a résolu de te détruire » (2 Chroniques 25 : 15‑16).

Ensuite, enhardi par son récent triomphe en Édom, Amatsia provoqua une guerre imprudente avec son homologue israélite du Nord, Joas. À cause de son orgueil et de son rapprochement avec les dieux édomites, Amatsia se heurta à un échec : Joas le captura et le ramena à Jérusalem, où il détruisit une partie de l’enceinte de la ville, prit des otages et emporta les trésors du temple et de la maison royale (2 Chronique 25 : 20‑24 ; 2 Rois 14 : 8‑14). Puni mais libre de rester roi du Sud, Amatsia survécut quinze ans à Joas. Dans l’intervalle, le fils de Joas, Jéroboam II, régna sur les tribus du Nord et occupa le trône encore vingt-six années.

Comme châtiment pour s’être éloigné de Dieu, Amatsia fut victime d’un complot interne en Juda et mourut assassiné. Son fils et successeur, Azaria, également appelé Ozias, n’avait alors que seize ans. On notera qu’il fit rapidement reconstruire le port d’Élath sur la mer Rouge, en le réintégrant au territoire de Juda. Il allait régner cinquante-deux ans, souvent en reprenant les bons côtés de son père (2 Chroniques 25 : 27 ; 2 Rois 14 : 19‑22, 15 : 1‑2). L’Écriture indique qu’il se mit à « rechercher Dieu pendant la vie de Zacharie [pas le prophète mineur], qui avait l’intelligence des visions de Dieu ; et dans le temps où il rechercha l’Éternel, Dieu le fit prospérer » (2 Chroniques 26 : 5).

Ozias accrut sa renommée dans la région grâce à ses aménagements agricoles, ses projets de construction et ses exploits militaires. Pourtant, lui aussi, il laissa en place les hauts lieux et devint imbu d’orgueil. Son arrogance le conduisit à vouloir brûler de l’encens sur l’autel du temple, rôle réservé aux sacrificateurs. Ce geste eut un effet décisif sur son règne. Il fut frappé par la lèpre, ce qui l’obligea à vivre isolé tandis que son fils veillait aux affaires courantes du royaume (2 Rois 15 : 3‑5 ; 2 Chroniques 26 : 6‑21).

Après les règnes de Saül, David et Salomon, le royaume de l’Israël antique est divisé entre le Nord (Israël) et le Sud (Juda). Voici une liste des souverains du royaume divisé. *Dates approximatives – Toutes se placent avant l’ère chrétienne.

Adapté de A Biblical History of Israel par Iain Provan, V. Philips Long et Tremper Longman III (2e édition, 2015).

Les prophètes prennent la parole

Le prophète Amos est associé à l’époque d’Ozias et aux derniers temps de Jéroboam II (Amos 1 : 1). Bien qu’étant de Judée, Amos s’adressait principalement aux Israélites du Nord à qui il annonçait leur captivité à venir. À titre secondaire, son message portait sur les péchés de Juda et de plusieurs nations voisines. Dans la Bible, Amos fait partie des douze prophètes mineurs (du latin minor, plus petit [par la longueur de leur livre]).

Au cours de la dernière année d’Ozias, le célèbre prophète majeur Ésaïe fut missionné (Ésaïe 6 : 1‑9). Il s’exprima pendant les règnes suivants de Jotham, Achaz et Ézéchias (Ésaïe 1 : 1), délivrant des messages sur la chute prochaine de Juda et de Jérusalem, sur le Messie attendu et sur le futur royaume de Dieu.

Un autre prophète, Osée, officia un peu plus tard, principalement auprès du royaume du Nord de Jéroboam II, bien qu’il soit également présenté en lien avec Ozias, Jotham, Achaz et Ézéchias, rois de Juda (Osée 1 : 1). Dans son cas aussi, la plupart de ses déclarations visaient à prévenir les tribus du Nord (souvent désignées collectivement par « Éphraïm ») de l’approche de leur destruction et de leur exil.

« Les prophètes [...] se voyaient comme des porte-parole de Yahvé qui, par leur intermédiaire, rappelait à son peuple le respect de l’alliance qu’il lui avait accordée bien des siècles auparavant. »

Douglas Stuart, Word Biblical Commentary, Vol. 31 : Hosea-Jonah

Durant le règne de Jéroboam, Dieu parla également par l’intermédiaire du prophète mineur Jonas. Celui-ci est surtout connu pour sa mission prophétique assurée à contrecœur auprès de l’importante puissance régionale qu’était l’Assyrie, et de sa capitale Ninive. C’est à cette période qu’il affronta un énorme poisson, comme chacun le sait (Jonas 1‑3). À la grande déception du prophète, l’Assyrie changea d’attitude en entendant ses avertissements publics et évita ainsi la sanction, échappant à l’invasion potentielle d’Israël et à l’expulsion de ses habitants. Jonas aurait préféré que les Assyriens soient détruits plutôt qu’ils réussissent à faire ce qu’il espérait pour son peuple alors entre leurs mains. Cependant, Dieu le réprimanda pour son manque de pitié : « Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, dans laquelle se trouvent plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, et des animaux en grand nombre ! » (4 : 11).

Jonas prophétisa également la reconquête des territoires d’Israël, de Hamath jusqu’à la mer Morte (2 Rois 14 : 25). Nous ne savons pas laquelle de ces deux missions prophétiques prima ; peut-être étaient-elles interdépendantes. Étant donné que Ninive voulait bien entendre la parole d’un prophète israélite, qu’Israël avait récupéré ses terres, et que l’on apprend parallèlement qu’il n’y avait « personne pour venir au secours d’Israël » et que « l’Éternel n’avait point résolu d’effacer le nom d’Israël de dessous les cieux, et il les délivra par Jéroboam, fils de Joas » (14 : 26‑27), cela peut expliquer que les Assyriens n’ont pas attaqué à l’époque de Jéroboam. Bien que le règne de ce souverain ait été comparable à celui de son homonyme corrompu, qui avait entraîné Israël dans l’idolâtrie lors de la scission initiale des tribus du Nord, Dieu décida dans sa miséricorde de ne pas écraser Israël, du moins pas immédiatement.

Le début de la fin pour Israël

À la mort de Jéroboam II, son fils Zacharie lui succéda mais fut assassiné par Schallum seulement six mois plus tard. Ainsi s’accomplissait une prophétie que Dieu avait faite à Jéhu, selon laquelle ce roi n’aurait des successeurs que sur quatre générations (2 Rois 10 : 30, 15 : 12). Schallum ne dura qu’un mois en Samarie avant qu’à son tour il ne succombe à un meurtre de la main de Menahem qui, lui, régna pendant la décennie suivante, poursuivant les habitudes païennes de Jéroboam Ier. C’est alors que les Assyriens, sous le règne de Tiglath-Piléser III (aussi appelé Pul ou Pulu), marchèrent sur Israël dans l’intention de l’attaquer. Voulant à tout prix s’assurer du soutien assyrien, Menahem paya à Pul mille talents d’argent, qu’il réclama ensuite aux riches d’Israël. Le roi assyrien s’en contenta pour le moment et retourna à Ninive avec son armée (15 : 13‑20). Suivant dans la lignée, Pekachia, fils de Menahem, régna deux ans, avant d’être assassiné par Pékach qui, une fois sur le trône, dut affronter une autre invasion de Tiglath-Piléser. Cette fois, l’Assyrien prit des terres et leur population dans le nord et l’est d’Israël, dont « Ijjon, Abel-Beth-Maaca, Janoach, Kédesch, Hatsor, Galaad et la Galilée, tout le pays de Nephthali, et il emmena captifs les habitants en Assyrie » (verset 29).

Dans le Sud, Jotham occupait le trône de Juda pendant le règne de Pékach. Son bilan positif fut à la hauteur de celui de son père, Ozias. Il s’illustra en tant que bâtisseur de villes et de défenses, et conquit les Ammonites qu’il soumit à un tribut. En revanche, comme plusieurs autres souverains, il ne supprima pas les hauts lieux et laissa y perdurer des adorations. Il est indiqué que, sous sa domination, « le peuple se corrompait encore ». Dieu laissa alors s’exercer sur Juda des pressions venues de Syrie et d’Israël (2 Rois 15 : 32‑37 ; 2 Chroniques 27 : 1‑6). Alors qu’il restait à Pékach trois années de règne, Jotham mourut et son fils Achaz prit sa suite.

Le prophète mineur Michée intervint pendant les règnes de Jotham, roi de Juda, et de ses successeurs Achaz et Ézéchias, mais ses messages s’adressaient à la fois à Samarie et à Jérusalem (Michée 1 : 1).

« Dans sa présentation des prophéties, le rédacteur accorde une importance primordiale à l’accomplissement des paroles prophétiques dans l’histoire des deux nations, en bien comme en mal. »

T.R. Hobbs, Word Biblical Commentary, Vol. 13 : 2 Kings

Achaz se révéla un idolâtre qui « marcha dans la voie des rois d’Israël » durant ses seize années sur le trône. Il pratiqua même l’immolation rituelle d’enfants, y compris du sien. Les Syriens et les Israélites du Nord lancèrent une nouvelle attaque et, bien qu’ils n’aient pas réussi à prendre Jérusalem (voir Ésaïe 7 : 1‑6), ils se saisirent de nombreux habitants de Juda et les exilèrent à Damas et Samarie. De plus, ils tuèrent le fils du roi et chassèrent Juda d’Élath pour y réimplanter les Édomites. Cependant, les tribus du Nord libérèrent leurs prisonniers après qu’un prophète leur eut transmis un avertissement de Dieu (2 Rois 16 : 3‑6 ; 2 Chroniques 28 : 1‑15).

Face à cette attaque, Achaz sollicita l’aide de Tiglath-Piléser en lui offrant les trésors du temple et de sa propre maison. D’abord, les Assyriens n’apportèrent aucune assistance mais, ensuite, ils prirent Damas, emmenèrent en exil une partie de sa population et tuèrent Retsin, le roi de Syrie.

Après avoir rendu visite à Tiglath-Piléser à Damas, Achaz fit faire une copie d’un autel qu’il y avait vu et l’installa dans l’enceinte du temple de Jérusalem, remplaçant l’autel d’origine en airain qu’il fit mettre à l’écart. Il voulait utiliser l’ancien autel pour consulter des oracles mais ordonna aux sacrificateurs d’effectuer la totalité des offrandes et sacrifices quotidiens sur le nouvel autel réalisé dans le style de Damas. Il introduisit d’autres changements dans la zone du temple, certains, semble-t-il, par déférence pour le roi assyrien, qui avait conquis le nord-est d’Israël et à qui il était désormais inféodé. Finalement, abandonnant complètement toute fidélité à Dieu, il fit des sacrifices aux dieux syriens et leur éleva des autels en Israël (2 Rois 16 : 7‑18 ; 2 Chroniques 28 : 16‑25).

La chute du royaume du Nord

Dans le Nord, le règne de Pékach était au comble de l’infamie quand Osée ourdit un complot et assassina le souverain pour prendre sa place (2 Rois 15 : 30). Son accession au trône en 731 fut le début de la fin de la lignée pour le royaume du Nord. Quatre ans plus tard, Salmanasar devint roi d’Assyrie. Dans un premier temps, Osée voulut bien s’acquitter d’un tribut pour éviter la guerre avec les Assyriens. Mais au bout de deux ans, il conclut une alliance secrète avec l’Égypte et refusa de continuer de payer. Découvrant le subterfuge, Salmanasar le fit emprisonner et lança le siège de Samarie, qui allait durer trois ans (17 : 3‑5).

La fin arriva quand, « la neuvième année d’Osée, le roi d’Assyrie prit Samarie, et emmena Israël captif en Assyrie. Il les fit habiter à Chalach, et sur le Chabor, fleuve de Gozan, et dans les villes des Mèdes » (verset 6). Cela se produisit vers 722‑721, quand Sargon II usurpa le trône, succédant ainsi à Salmanasar.

Royaume du Nord d’Israël emmené en captivité en Assyrie, fin du huitième siècle avant notre ère

Adapté de Bound for Exile : Israelites and Judeans Under Imperial Yoke par Mordechai Cogan (2013).

Certains documents assyriens mentionnent que Sargon (non Salmanasar) emmena les Israélites en captivité. Comment faut-il le comprendre ? Sargon a peut-être voulu enjoliver la liste de ses exploits et légitimer son statut, d’où l’ajout d’un succès de son prédécesseur. À moins que le récit biblique ne soit une version simplifiée des événements afin de donner la priorité à l’instigateur de l’effondrement d’Israël.

En tout cas, l’auteur du deuxième livre des Rois justifie la fin du royaume et l’exil : le culte de dieux étrangers, l’instauration de hauts lieux pour l’idolâtrie, le refus opiniâtre de changer, le rejet de la loi de Dieu, ainsi que les enchantements et la divination (versets 7‑18). Il conclut : « Et Israël a été emmené captif loin de son pays en Assyrie, où il est resté jusqu’à ce jour » (verset 23). Environ trois cents ans plus tard, l’auteur des Chroniques précisera qu’il ne s’agissait pas de toute la population puisqu’il y avait un « reste échappé de la main des rois d’Assyrie » (2 Chronique 30 : 6, à comparer à 34 : 9).

Bien que le royaume du Sud ait sans doute représenté la majorité des derniers membres de l’Israël antique, lui non plus « n’avait pas gardé les commandements de l’Éternel » (2 Rois 17 : 19). Pour finir, ils seraient eux aussi envoyés en exil.

Entre-temps, selon la pratique assyrienne, le territoire conquis dans le Nord allait être recolonisé par des migrations forcées d’autres populations. Ces transferts firent « venir des gens de Babylone, de Cutha, d’Avva, de Hamath et de Sepharvaïm, et les [établirent] dans les villes de Samarie à la place des enfants d’Israël. Ils prirent possession de Samarie, et ils habitèrent dans ses villes. » (verset 24).

Ces nouveaux habitants gardèrent leurs versions de culte païen et les dieux de leur lieu d’origine. Dans l’adversité, ils pensèrent avoir besoin d’apaiser les divinités locales de Samarie, mais ne savaient pas comment faire. Paradoxalement, la solution du roi assyrien fut de faire revenir un prêtre israélite exilé pour les instruire (versets 26‑28). Rappelez-vous que Jéroboam avait établi son propre sacerdoce et sa forme corrompue de religion lors de la séparation initiale entre Israël et Juda (1 Rois 12 : 26‑33) ; les sacrificateurs israélites s’étaient eux-mêmes éloignés de Dieu, d’où l’exil de la nation à l’origine.

Quoi qu’il en soit, cette solution s’avéra peu fiable. Avec leur peu d’enseignement, les nouveaux habitants nommèrent leurs propres prêtres et pratiquèrent encore un mélange de religions : « Ces nations craignaient l’Éternel et servaient leurs images ; et leurs enfants et les enfants de leurs enfants font jusqu’à ce jour ce que leurs pères ont fait. » (2 Rois 17 : 29‑33, 41).

La prochaine fois, Juda succombe au même destin que ses cousins du Nord.