Baby Business

Coûts et motivations secrètes des techniques de procréation

Pour les couples, relativement peu nombreux, qui souffrent de stérilité, la fécondation in vitro est le seul moyen de concevoir un enfant. Alors pourquoi tant d’autres ont-ils également recours à la procréation médicalement assistée ? Deux livres hors-pairs traitent de l’impact de la FIV et de la sélection des embryons sur l’avenir de la famille et de la société.

The Pursuit of Parenthood: Reproductive Technology from Test-Tube Babies to Uterus Transplants

Margaret Marsh et Wanda Ronner. 2019. Johns Hopkins University Press, Baltimore. 274 pages.

Fables and Futures: Biotechnology, Disability and the Stories We Tell Ourselves

George Estreich. 2019. MIT Press, Cambridge, MA. 219 pages.

Désirer un enfant est bien naturel, pourtant « soyez féconds, multipliez » ne se produit pas toujours de manière naturelle. La fécondation in vitro (FIV), petit coup de pouce donné à la nature, fait se rencontrer ovule et spermatozoïdes hors du corps. Le processus est en train de devenir tellement courant qu’expliciter l’acronyme est pratiquement tout aussi accessoire que d’expliquer ce que signifie « NASA ».

Depuis la naissance inédite de Louise Brown en 1978, nous avons quasiment atteint les neuf millions d’enfants nés de la FIV. Chaque année, on compte plus de deux millions de cycles de FIV effectués dans le monde, des cycles complexes et coûteux.

Voici comment on met en général en route un bébé : la femme reçoit des injections d’hormones pour stimuler une ovulation à ovocytes multiples. Après maturation, les ovocytes sont extraits des ovaires au moyen d’une aiguille reliée à une seringue d’aspiration. Les embryologistes observent en laboratoire la condition des ovocytes ponctionnés et ils fécondent les meilleurs avec des spermatozoïdes sélectionnés avec soin. Ils congèlent parfois certains spermatozoïdes non utilisés et ovocytes non fécondés pour pouvoir les utiliser plus tard. Les ovocytes fécondés se divisent et se développent dans un petit incubateur, pendant plusieurs jours.

Ensuite, dans de nombreux cas, les embryons sont soumis à une évaluation génétique. Le dépistage génétique préimplantatoire (DPI) implique une observation du génome/de l’ADN d’une cellule prélevée sur l’embryon en cours de maturation pour identifier toute anomalie chromosomale, toute maladie monogénique et tout autre trait génétique. Pour les parents porteurs d’une maladie génétique, le DPI est un cadeau du ciel, puisqu’il permet de dépister les embryons affectés avant l’implantation. Pourtant, ce qui est dépisté et mis de côté évolue constamment. La trisomie 21, le sexe et de fait, tout trait rattaché à une séquence d’ADN peuvent servir de marqueur pour décider de la convenance ou non d’un embryon à l’implantation. Et bien sûr, avec l’élargissement futur de l’édition de la lignée germinale et de la manipulation des traits génétiques, ces embryons seront par nécessité évalués afin de valider le succès des modifications attendues.

Enfin, un ou plusieurs embryons sont introduits dans l’utérus, soit celui de la femme à laquelle on a prélevé l’ovocyte, soit celui d’une mère porteuse gestationnelle. (Les parents en puissance pourront également avoir recours à des dons d’ovocytes et/ou de spermatozoïdes plutôt que d’utiliser les leurs.) Le taux de réussite global est actuellement évalué à 30 %, voire moins. Mais si tout va bien, un embryon s’implante dans la paroi de l’utérus et neuf fois plus tard, cette séquence à la Rube Goldberg donne naissance à un nouveau membre de la famille.

Comme pour les ovocytes et les spermatozoïdes non utilisés, les embryons restants pourront être congelés comme plan de secours, pour ainsi dire, au cas où la grossesse ne se ferait pas. Obtenir des chiffres précis est impossible, mais avec plus de 280 000 cycles de FIV effectués aux États-Unis rien qu’en 2017 (chiffres les plus récents donnés par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis), certains estiment à un million, voire plus, le nombre d’embryons restants qui sont actuellement préservés par cryogénie dans tout le pays. Si la grossesse a lieu, le destin de ces embryons est précaire : adoption ? abandon ? utilisation pour la recherche ? Sans compter que les préserver coûte cher.

On estime à 500 000 le nombre de bébés ajoutés tous les ans à la population mondiale par ce qu’on appelle généralement la procréation médicalement assistée (PMA). Dans le contexte des plus de 130 millions d’enfants nés chaque année, ce chiffre n’est pas particulièrement élevé. Pourtant, la possibilité que la FIV mène à une sorte de nouvel être humain issu de l’ingénierie, sorte de nouvelle planification familiale, est de plus en plus préoccupante et sous certains aspects, c’est déjà le cas.

Si la FIV s’apparente à un miracle pour ceux qui sont confrontés à la stérilité, cela va en fait beaucoup plus loin. Donnant accès à la condition génétique de l’embryon, la FIV fournit non seulement aux parents la possibilité de sélectionner en vue d’éliminer les maladies invalidantes mais également de poser des choix relatifs à certaines caractéristiques telles que le sexe, la couleur des yeux ou même l’intolérance au lactose. Plus nous avançons dans notre connaissance du génome humain, plus cette liste risque de s’allonger. Qui plus est, puisque c’est une plateforme d’intervention génétique par édition génomique, la FIV peut éventuellement ouvrir la voie à l’amélioration génétique, tout du moins pour ceux qui peuvent se le permettre.

La FIV permet également aux femmes de mettre en veille leur horloge biologique. Avec l’extraction et la congélation des ovocytes, elle peut permettre de reporter à plus tard la maternité et de faire carrière ou de se donner d’autres objectifs plus faciles à atteindre sans enfant.

Le Far West de la PMA

Dans le cadre des efforts effectués dans le sens de l’indépendance reproductive et du contrôle génétique, les couples, les célibataires, les scientifiques et les historiens se posent d’importantes questions : la congélation des ovocytes et la FIV doivent-elles devenir la norme dans le contrôle de la planification de la conception ? Comment allons-nous décider quels sont les embryons à éliminer parce qu’anormaux ? Les termes maladie et handicap sont-ils équivalents ? Quel sera le rôle de la réglementation gouvernementale ?

Dans The Pursuit of Parenthood: Reproductive Technology from Test-Tube Babies to Uterus Transplants, Margaret Marsh, historienne des sociétés (Rutgers University) et Wanda Ronner, gynécologue (Perelman School of Medicine, University of Pennsylvania), soutiennent qu’il nous faut engager une réflexion prudente sur les justifications sociétales de la pratique élargie la PMA. Selon elles, les États-Unis en particulier représentent un Far West largement dérégulé et elles soulignent qu’« un marché dérégulé dans le domaine de la reproduction n’est pas dans l’intérêt de ce pays. »

« Certes, nous n’avons pas de boule de cristal nous permettant de visualiser précisément à quoi ressemblerait un bon dispositif réglementaire dans ce pays, mais si nous ne commençons pas dès maintenant, nous risquons de ne plus pouvoir domestiquer le Far West de la médecine de la procréation… »

Margaret Marsh et Wanda Ronner, The Pursuit of Parenthood

Le problème, expliquent-elles, vient du passé politique, qui a laissé la médecine aux mains du marché. « Quatre décennies se sont désormais écoulées depuis le choix de l’administration de Jimmy Carter de fermer les yeux sur les répercussions éthiques et politiques de la création d’embryons humains hors du corps de la femme et de ne pas s’en occuper. Les technologies se sont multipliées et avec elles les questions médicales et éthiques qu’elles engendrent. »

Elles notent que « dans ce pays, les commissions d’éthique vont et viennent. Les recommandations de politiques nationales venues des bioéthiciens et d’autres restent lettre morte au Congrès. »

Marsh et Ronner observent que la réticence du Congrès à élaborer une réglementation concernant la FIV a son origine dans les débats politiques sur l’avortement. La légalisation de l’avortement suite à la décision dans l’affaire Roe v Wade de 1973 a fait de la médecine de la procréation un troisième rail, intouchable, politiquement trop sensible être abordé. Par conséquent, les études impliquant les embryons humains n’ont pas accès aux subventions fédérales pour la recherche ; des moratoriums ont été mis en place, sans jamais être levés. Alors que le reste du monde établit des règles et réglementations permettant à la médecine de la FIV d’évoluer sous la supervision des gouvernements, les chercheurs américains se tournent vers les financements privés, avec pour conséquence une marchandisation de la FIV et de la PMA.

Divisés par la polémique sur l’avortement, l’égalité des genres et les définitions de la famille, expliquent Marsh et Ronner, les États-Unis « ont par défaut permis au marché de définir les règles du développement et de l’accès aux services de procréation médicale assistée. »

Patient et client

Comme, aux États-Unis, ce sont les cliniques à but lucratif spécialisées dans le traitement de la stérilité qui sont en tête de file des services de PMA et qui les vendent, elles sont toujours en quête de nouveaux clients fidèles. Qu’elles misent sur la cadence de l’horloge biologique, qu’elles insistent sur la nécessité d’éviter les maladies génétiques ou qu’elles en appellent au pouvoir de la femme d’exercer son droit à l’indépendance reproductive, les cliniques commercialisent leurs produits à toutes les femmes, qui sont donc toutes d’éventuelles clientes. « La médecine de la procréation du vingt-et-unième siècle a prospéré dans le secteur privé, expliquent Marsh et Ronner, parce que les patients paient généralement de leur poche pour la FIV et autres technologies avancées, et parce que les centres de FIV peuvent se révéler extrêmement rentables. » Les études de marché indiquent que le marché mondial de la FIV représentera 40 milliards de dollars d’ici 2024, soit une augmentation de 19 milliards de dollars par rapport à 2018.

Conformément aux domaines de prédilection des deux auteures, The Pursuit of Parenthood suit l’évolution historique de la PMA à la lumière des préoccupations de vie et de santé des femmes. La question est tout autant celle de l’égalité sociale que celle du désir de fonder une famille. Et force est de constater que malheureusement, nous sommes médiocres pour l’une comme pour l’autre. La solution commence, selon elles, par des soins de santé en matière de procréation qui ne soient ni dépendants des caprices du gouvernement, ni laissés à la merci du marché. « Nous croyons toutes deux que tout comme la santé, qui est un droit humain, les soins relatifs à la fertilité devraient être pris en compte dans les soins de santé de base des femmes. »

Marsh et Ronner amènent le lecteur à se demander si nous n’avons pas créé une solution technique, qui plus est trompeuse, à un dysfonctionnement social. La congélation des ovocytes, par exemple, a été vendue à des femmes jeunes non seulement comme un moyen de conserver leurs ovocytes avant des traitements contre des maladies telles que le cancer, mais aussi tout simplement pour reporter à plus tard la famille. L’argument de vente, disent-elles, c’est que les « années de fertilité sont comptées ».

Et ça marche. Natalie Lampert, journaliste trentenaire, chantait récemment dans un article de Think NBC les louanges de la congélation des ovocytes, de la FIV, de la carrière et de la planification de son style de vie, tout ceci étant naturellement étroitement lié. « Pour certaines femmes, écrit-elle, la congélation des ovocytes s’est avéré un outil puissant d’autonomisation qui a profondément transformé leurs vies personnelles, étant à la fois synonyme d’un sentiment d’indépendance immédiat et de sérénité par rapport à la famille dans l’avenir. »

Ce qu’elle désigne par « certaines femmes » fait évidemment référence à des femmes jeunes et riches. Pourtant, au moins une gynécologue déclare que « toutes les femmes devraient penser [à la congélation d’ovocytes] lorsqu’elles ont la vingtaine ». Elle parle de « police d’assurance pour votre santé reproductive ». Mais cette police sera coûteuse : entre 6 000 et 20 000 USD actuellement, sans  compter que le cycle de FIV de base coûte entre 10 000 et 20 000 USD en plus. (La sélection génétique et/ou l’édition du génome pourraient encore ajouter plusieurs milliers de dollars à la facture.) La question de savoir qui pourra réellement prendre part à ce nouveau monde de la planification familiale est omniprésente. Même pour celles qui peuvent se le permettre, la grossesse est tout sauf garantie.

Cette réalité, au-delà de l’optimisme implicite avancé par les promoteurs de la fertilité, compte parmi les avertissements les plus pressants de The Pursuit of Parenthood. La morale silencieuse de l’histoire, selon les auteures, c’est : « Dépensez des dizaines de milliers de dollars pour congeler vos ovocytes et vous pourriez bien finir pauvre et stérile. » Parce que « même pour les femmes jeunes, la congélation des ovocytes ne garantit rien. »

Ingénierie sociale

La thèse de The Pursuit of Parenthood, c’est que notre effort de transformation devrait viser autre chose : « On n’entend jamais parler de repenser le mariage comme partenariat plus égalitaire ou de remanier le monde du travail et la société en général, de manière à prévoir des structures de soutien qui permettraient aux femmes d’avoir leurs enfants plus tôt, tout en jouissant d’une carrière épanouissante. »

Les auteures mettent en lumière des questions fondamentales dans ces problèmes difficiles. Si leur ouvrage se félicite que la science ait élargi les choix des femmes en matière de procréation et s’il déplore les obstacles sociaux comme freins au progrès des femmes, il n’entre pas dans le détail de certains des tout récents aspects du contrôle génétique, tels que l’évolution de l’usage de la sélection d’embryons et de l’édition de la lignée germinale au moyen de technologies telles que CRISPR, ou les questions de plus en plus pressantes de la sélection d’embryons.

Marsh et Ronner sont loin d’être des luddites dans le domaine de la PMA. Elles sont convaincues qu’« il est du rôle du médecin de prévenir la souffrance » et qu’employer ces technologies à cette fin ne veut pas dire créer un enfant sur mesure. Elles reconnaissent également qu’il existe une tension entre ce qui devrait être éliminé et ce qui ne doit pas l’être. Comment définit-on la souffrance ? Doit-on éliminer l’embryon parce que lui ou ses parents risqueraient de souffrir ?

« Les défenseurs des droits des handicapés soutiennent que le désir qu’un enfant ne soit affecté d’aucune maladie génétique pourrait mener à la dévalorisation des vies de ceux qui vivent avec un handicap. Cette inquiétude doit être prise au sérieux. »

Margaret Marsh et Wanda Ronner, The Pursuit of Parenthood

Définir le handicap

« Je me situe, comme beaucoup d’autres, à l’intersection entre l’ancienne manière de faire et la nouvelle, écrit George Estreich dans Fables and Futures: Biotechnology, Disability and the Stories We Tell Ourselves. Mais l’espèce elle aussi, se situe entre l’ancienne manière de faire et la nouvelle, entre le passé de la reproduction humaine ordinaire et les formes numériquement assistées qui sont en cours. »

Enseignant à la School of Writing, Literature and Film d’Oregon State University, Estreich n’est pas expert en science, en fertilité ou en bioéthique, mais sa fille, Laura, est née trisomique. Dans le cadre du débat sur la meilleure utilisation possible à faire des technologies qui pourraient éliminer la trisomie, sa perspective est donc unique. « Je suis profondément dans le camp des scientifiques, écrit-il, mais si les nouvelles biotechnologies doivent nous aider, il nous faut rester lucides et également reconnaître que telles qu’elles existent actuellement, elles reflètent et amplifient nos idées fausses sur le handicap et notre attachement à l’idée souvent destructrice de la normalité. »

Dans Fables and Futures, Estreich examine en profondeur les questions des relations humaines que Marsh et Ronner éludent nécessairement. Si elles évoquent la dévalorisation des personnes handicapées, pour Estreich, c’est une réalité. De nombreux auteurs parlent de la science des possibilités génétiques et de l’éventualité de pouvoir éliminer la maladie, mais pour la plupart d’entre eux, ce qu’ils écrivent provient de leur réflexion. Estreich écrit avec le cœur. Après tout, éliminer la maladie génétique aurait signifié éliminer Laura.

Ce livre est un incontournable pour toute personne intéressée par les éventuelles conséquences de la PMA. Certes, Estreich y parle principalement de la trisomie 21, mais ses arguments sont en lien avec la FIV et en particulier la sélection des embryons. Que se passe-t-il si un couple souhaite des garçons plutôt que des filles ? Tous leurs embryons féminins resteront congelés, mis de côté, en faveur de ceux qui portent un chromosome Y. Ce type de sélection parentale est permis, car la distinction entre handicap et préférence est malléable et ne pourra que le devenir davantage en ce nouvel âge d’inspection génétique. Fables and Futures nous aide à penser les choix qui sont les nôtres, et ceux qui le seront.

Personne ou reflet ?

Que voit-on lorsqu’on s’aperçoit qu’une personne est handicapée ? Estreich nous dit qu’on voit souvent ce qu’on s’attend à voir : un reflet de nos propre préjugés et parti pris, voire de notre imagination. Inévitablement, on fixe un spectre qu’on pourrait serrer dans ses bras, le spectre de sa fille, « forme indistincte, sorte de diagnostic avec une personnalité, mélange de douceur et de tragique, d’ange, de déficience cardiaque et d’âge de la mère. »

« C’est une des représentations que l’on se fait de la trisomie, pas la pire, mais qui cache la personne. Le reflet, le fantôme, éclipsent l’enfant. »

George Estreich, Fables and Futures

Le fait que nous nourrissions des préjugés est une réalité difficile à comprendre et à admettre, et pourtant, c’est un éclairage déterminant pour définir la bonne démarche. « Ce livre est écrit dans un entretemps, nous dit-il, et il analyse les récits que l’on se raconte, les énoncés que l’on amène aux scénarios improvisés, les fables qui nous aident à bâtir notre avenir. » Et l’idée est la suivante : là où on fait référence à des embryons, il s’agit de personnes. « Puisque nous avons des biotechnologies qui nous permettent de sélectionner et de donner forme à qui nous sommes, nous devons nous représenter, de manière aussi large que possible, ce que signifie l’appartenance. »

Si nous savons certes que celui ou celle qui est trisomique est une personne, nous avons désormais la possibilité de nous assurer que plus aucune personne de ce type ne naisse. Cette possibilité devrait-elle même exister ? Ce positionnement est étrange, complexe mais c’est la réalité. Le dépistage prénatal « oriente notre réflexion et notre discours sur la trisomie ;  nous prenons nos distances avec les débats sur les droits des citoyens pour les réorienter vers une discussion sur les possibilités, les éventualités et les risques », nous dit Estreich. « Les personnes trisomiques se situent dans les limbes de la valeur humaine. On parle d’elles, souvent en des termes inexacts, en se référant à leur impact sur autrui plutôt qu’à leurs possibilités, leurs espoirs. » Pour lui, c’est une question de dignité : « Pour beaucoup de personnes handicapées, l’hypothèse selon laquelle leur vie aurait moins de valeur ou serait définie par la souffrance est une atteinte à la dignité tout aussi tangible que tout autre fait physique. »

Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme de l’UNESCO

La Conférence générale,

. . . Reconnaissant que les recherches sur le génome humain et leurs applications ouvrent d'immenses perspectives d'amélioration de la santé des individus et de l'humanité tout entière, mais soulignant qu'elles doivent en même temps respecter pleinement la dignité, la liberté et les droits de l'homme, ainsi que l'interdiction de toute forme de discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques,

Proclame les principes qui suivent et adopte la présente Déclaration.

A. LA DIGNITÉ HUMAINE ET LE GÉNOME HUMAIN

Article premier

Le génome humain sous-tend l'unité fondamentale de tous les membres de la famille humaine, ainsi que la reconnaissance de leur dignité intrinsèque et leur diversité. Dans un sens symbolique, il est le patrimoine de l'humanité.

Article 2

(a) Chaque individu a droit au respect de sa dignité et de ses droits, quelles que soient ses caractéristiques génétiques.

(b) Cette dignité impose de ne pas réduire les individus à leurs caractéristiques génétiques et de respecter le caractère unique de chacun et leur diversité.

Article 3

Le génome humain, par nature évolutif, est sujet à des mutations. Il renferme des potentialités qui s'expriment différemment selon l'environnement naturel et social de chaque individu, en ce qui concerne notamment l'état de santé, les conditions de vie, la nutrition et l'éducation.

Article 4

Le génome humain en son état naturel ne peut donner lieu à des gains pécuniaires. . . .

Ce que défend Estreich ne se limite pas à la trisomie. Grâce à la FIV et au DPI, n’importe quel trait génétique pourrait faire l’objet d’une substitution. Dans le contexte de la biotechnologie, les handicapés sont traités comme des « résultats à éviter » conclut-il. « Le diagnostic ou le stéréotype bloquent l’accès à leur intériorité qui n’est ni reconnue, ni perçue, leurs émotions sont simplifiées à dessein et ils sont rarement consultés. » Et pourtant, le paradoxe selon Estreich, c’est qu’ils sont essentiels. « Le handicap, sorte de figure de style, est une opportunité de raisonnement sur l’évolution de la technologie et l’usage que l’on en fait, dans le cadre de la promesse qui est au cœur de la technologie, que le handicap trouvera un remède ou sera évité. »

Les quarante années à venir

Leon Kass, bioéthicien, avait prédit au début de l’ère de la FIV que le miracle de la vie cèderait la place à notre imagination et à notre désir de bricoler. « Avec la fécondation in vitro, disait-il, l’embryon humain émerge pour la première fois de l’obscurité naturelle et privée du sein de sa mère, où sa présence cachée est mystère, pour être exposé aux lumières vives et à la publicité flagrante du laboratoire du scientifique, où il sera traité dans une rationalité à toute épreuve, sous l’œil ingénieux et éhonté de l’esprit, soumis au toucher obéissant et tout aussi ingénieux de la main. »

Quelles seront nos décisions futures ? « Notre manière de traiter autrui dépend de ce que nous pensons de lui, et ce que nous pensons est à la fois révélé et influencé par ce que nous disons. C’est pour cette raison que la rhétorique rattachée à la biotechnologie, la rhétorique de ceux qui font, est importante, défend Estreich. »

« En tant qu’écrivain, je pense à l’avenir en général. En tant que parent, je pense à l’avenir de Laura. Récemment, cet avenir semble être devenu plus précaire. »

George Estreich, Fables and Futures

Le temps semble défiler plus vite ; les technologies de la procréation médicalement assistée s’imposent de plus en plus dans le contrôle de l’embryon. Quelles que soient les distractions de notre monde mouvementé, il y a des décisions à prendre. Sont-elles trop complexes ? Pourquoi ne pas laisser les machines s’en occuper... Comme Estreich le défend, « il est possible que du fait des complexités conceptuelles de l’analyse des différences entre la maladie et le handicap, nous laissions le travail aux mains des algorithmes, considérant comme ‘anormal’ ce que nous pouvons détecter ou prétendre détecter. »

Ce serait la plus effrayante des alternatives. Comme pour toutes les technologies, nous devons prendre en considération les conséquences du point de vue pratique. Estreich se sert du film L’extraordinaire Spider-Man (2012) pour défendre son point de vue. Le film décrit les efforts d’un scientifique pour modifier génétiquement la puissance régénératrice des reptiles, l’intégrer au génome humain et permettre à nos membres de se reconstituer. L’idée semble bonne. Comme on peut s’y attendre, cependant, les meilleures intentions du monde pour exploiter la biologie en vue du bien de l’être humain se transforment en cauchemar : l’épissage du génome ne fonctionne pas bien. Bien sûr, il s’agit d’un récit aberrant digne de la science fiction pour bande dessinée… et pourtant. L’hubris n’en est que plus flagrant au cinéma. Et c’est justement ce qu’Estreich veut défendre.

«« Le scénario [du film] incarne la loi des conséquences imprévues, explique-t-il, les dangers du mélange du profit et de la recherche et (…) d’une décision de principe de ne pas faire le suivi d’une découverte. »

De manière plus large, la leçon, comme le fait remarquer Estreich, c’est que si nous ne prêtons pas attention à ce qui se passe dans le monde, nous sommes tous complices du mal qui abonde. « Il ne s’agit pas d’un utilisateur malveillant unique, mais de milliards de consommateurs lambda qui suivent leurs désirs ordinaires (conduire une voiture, désirer des enfants en bonne santé, aller au cinéma) et qui ainsi façonnent notre monde. »