Histoire de croissance en Afrique

L’exploitation d’un continent

L’Afrique connaît une croissance sans précédent, non seulement en termes démographiques mais aussi par les projets de modernisation de ses infrastructures et d’amélioration de ses différentes économies nationales. Cependant, les coûts, ainsi que les défis à relever, sont énormes.

Les Nations Unies estiment qu’en Afrique, la population est passée de 229 millions d’habitants en 1950 à plus de 1,2 milliard aujourd’hui. Les prévisions de croissance laissent penser qu’au rythme actuel, elle pourrait plus que doubler d’ici 2050 en dépassant les 2,5 milliards.

Les entreprises et investisseurs du monde entier n’ont pas tardé à repérer cette opportunité. L’hebdomadaire britannique The Economist a indiqué, par exemple, que « dix ans plus tôt, on ne comptait qu’environ 129 millions d’abonnements de téléphone portable dans toute l’Afrique. […] Depuis, le nombre d’abonnements actifs a bondi pour atteindre presque 1 milliard ». Si l’on tient compte du fait que les Africains sont nombreux à utiliser plusieurs cartes SIM, près de la moitié de la population possède désormais un téléphone portable, semble-t-il.

Une explosion démographique de cette ampleur fait de ce continent une cible commerciale ; c’est un marché de la taille de l’Argentine qui s’ouvre chaque année. Bien sûr, l’accès à de nouveaux produits n’est pas toujours problématique car certains peuvent améliorer directement la vie des gens. The Economist fait remarquer que, d’après une étude universitaire du MIT, du simple fait d’accéder à M‑Pesa, un service de transfert d’argent par téléphone portable utilisé au Kenya, 2 % des ménages nationaux ont pu sortir de la pauvreté entre 2008 et 2014.

Pour faire face à cette importante croissance démographique, un vaste ensemble de programmes d’infrastructures est prévu ou en voie de réalisation sur tout le continent, pour un coût de plusieurs milliards de dollars, notamment des équipements routiers, des voies ferrées, des ponts, des barrages et des projets énergétiques. On peut citer, par exemple, le programme du corridor Nord-Sud pour la réhabilitation et l’entretien de 8.600 km de routes à travers sept pays, la rénovation de 600 km de voies ferrées, la modernisation de ports comme celui de Dar es Salaam, et le développement du potentiel productif du Pool énergétique d’Afrique australe.

En 2014, des travaux ont commencé en vue d’augmenter la capacité du canal de Suez. Achevé en 2015, ce réaménagement à hauteur de 8,2 milliards de dollars [dollars américains, dans cet article] a ajouté un couloir de navigation parallèle de 35 km pour permettre aux navires de se dépasser. Le gouvernement égyptien prévoit avec optimisme que les recettes annuelles feront plus que doubler d’ici 2023 grâce à l’accroissement de l’activité.

Mombasa, le principal port du Kenya, a longtemps concurrencé celui de Dar es Salaam, en Tanzanie, à la tête des plus grands ports de la côte Est de l’Afrique, mais un nouveau port kenyan plus au nord, à Lamu, actuellement au stade de la planification, devrait les éclipser tous les deux. Entre-temps, la Tanzanie aménage son propre super-port, Bagamoyo. S’il est achevé, il deviendra la plus grande installation portuaire d’Afrique, pour un coût estimé à 10 milliards de dollars. Son nom vient du swahili bwaga moyo qui signifie « perdre courage » ou « déposer son cœur », et reflète le désespoir de ceux qui étaient amenés là de force dans le passé, avant de partir affronter un avenir incertain en tant qu’esclaves.

Ce désespoir a toujours sa place aujourd’hui. Les investissements dans des projets d’infrastructures en Afrique sont annoncés, mais il est parfois difficile pour les pays africains de conserver des intérêts dans les équipements financés par d’autres nations. Dans le cas de Bagamoyo, une entreprise de construction appartenant au gouvernement chinois prévoit de terminer sa mission d’ici 2045. Un accord passé entre Oman et la Chine stipulait que la Tanzanie devait apporter 28 millions de dollars pour indemniser les propriétaires expulsés, mais comme elle n’a pu en réunir que 1,5 million, des comptes rendus semblent indiquer que la société de construction chinoise est intervenue pour verser les indemnisations, à la condition humiliante que la Tanzanie cède sa part de propriété dans l’ouvrage achevé.

« Avec une étendue prévue de cinq kilomètres de long sur 1,5 kilomètre vers l’intérieur des terres dans sa version la plus ambitieuse, le port de Bagamoyo pourra traiter plus de 20 millions de conteneurs par an. »

Amanda Leigh Lichtenstein, « Sea Change Comes to Bagamoyo » dans AramcoWorld, 2015

En réalité, l’argent chinois a afflué dans les projets d’infrastructures africains et acquiert rapidement quantité de produits d’exportation et de ressources africaines. En 2013, la société de promotion immobilière Shanghai Zendai Property Limited, basée à Hong Kong, a annoncé la construction d’une ville appelée Modderfontein New City, à la périphérie de Johannesbourg, pour un montant de 7 à 8 milliards de dollars. Cette ville deviendra une plateforme de service pour les sociétés chinoises qui investissent dans les infrastructures africaines. La Chine et le Nigeria ont également conclu un contrat de 11 milliards de dollars pour construire une ligne ferroviaire côtière entre Lagos et Calabar. Cette voie ferrée, longue de 1.400 km, desservira des ports et des pôles d’activité économique.

Toutefois, la Chine n’est pas la seule à essayer d’exploiter l’incroyable potentiel de croissance de l’Afrique. Un large éventail d’investisseurs détient désormais une participation dans l’avenir du continent. Mais comme le souligne le Forum économique mondial, « des difficultés persistent, notamment le terrorisme et les menaces pour la sécurité, ainsi qu’une faible productivité des secteurs agricoles et le chômage très élevé chez les jeunes. »

De manière paradoxale, à cause de la gouvernance encore fragile qui y est exercée, les zones riches en ressources n’ont jamais été correctement exploitées sur ce continent. Avec des investisseurs qui tirent désormais parti du potentiel de croissance de l’Afrique, comment la transition se passera-t-elle pour la population ? Le Forum économique mondial constate que 60 % de la main-d’œuvre du continent exerce un métier agricole, alors que l’agriculture représente moins d’un quart des exportations. Le niveau de production alimentaire africaine a légèrement augmenté ces dernières années, mais sans une transformation agricole majeure, le continent aura du mal à répondre aux exigences d’une population grandissante. Par ailleurs, « l’Afrique dispose de la population jeune la plus nombreuse de tous les continents, et beaucoup de pays africains ont des difficultés à créer des emplois pour les effectifs croissants de jeunes qui arrivent sur le marché du travail. »

Lorsqu’une économie présente un tel déséquilibre, les besoins en éducation et en santé sont souvent plus urgents que les projets d’infrastructures à plusieurs milliards de dollars qui satisfont les ambitions d’investisseurs internationaux. Les ressources de l’Afrique ont toujours été incroyablement riches. Sans cesse, l’abondance a été à portée de main dans nombre de ses pays, souvent juste sous la terre sous la forme de produits de base. Il semble inévitable que l’Afrique continue à se moderniser, à croître, à se développer et à prendre plus de place sur la scène mondiale, mais il reste à savoir si cette croissance mènera réellement à plus de prospérité et d’opportunités pour sa population. Si les projections de croissance démographique se confirment, des milliards de gens dépendront des décisions prises aujourd’hui, décisions qui s’intéressent plus aux profits qu’aux individus. L’histoire de l’Afrique laisse supposer que le salut attendu des projets d’infrastructures localisés et de la technologie ne procurera pas la libération si nécessaire.

La cupidité de quelques-uns en Afrique, et de toutes les nations qui ont longtemps cherché à exploiter ses richesses, reste l’un des principaux problèmes du continent. À cet égard, l’Afrique n’est pas la seule, bien entendu. Cette cupidité finira par mener toutes les nations à une confrontation avec le Créateur. Un monde globalisé, axé sur lui-même, est évoqué dans le dernier livre prophétique de la Bible. Nous y apprenons que la délivrance viendra, non pas du commerce mondial de marchandises (voir Apocalypse 18), mais de l’instauration d’un ordre mondial profondément soucieux du bien à apporter à chaque être humain.