Avenirs économiques

Capital in the 21st Century 

Thomas Piketty (translated by Arthur Goldhammer). 2014. Harvard University Press, Belknap Press, Cambridge, Massachusetts. 696 pages.

The Second Machine Age: Work, Progress, and Prosperity in a Time of Brilliant Technologies

Erik Brynjolfsson and Andrew McAfee. 2014. W.W. Norton & Co., New York. 320 pages.

The Zero Marginal Cost Society: The Internet of Things, the Collaborative Commons, and the Eclipse of Capitalism

Jeremy Rifkin. 2014. St. Martin’s Press, Palgrave Macmillan, New York. 368 pages.

Nous vivons dans un monde de systèmes, naturels ou créés, avec lesquels nous sommes en interaction ; nous les influençons et sommes influencés par eux. Pourtant en général, tant qu’ils fonctionnent sans heurts, nous nous en soucions à peine. Mais si quelque chose change – si un virus infecte notre système immunitaire ou notre système informatique, par exemple – nous nous y intéressons.

L’un d’eux est en constante évolution et nous affecte tous : l’économie. Riches ou pauvres, nous sommes tous en interaction avec elle de façon quasi constante. Ne nous déplaise, elle requiert notre attention ; en fait, l’ignorer serait à nos risques et périls. En revanche, rares sont ceux qui en comprennent les mécanismes, et nous ne savons absolument pas vers quoi elle va nous entraîner. De plus, les questions morales et éthiques envahissent ces problématiques mais restent souvent sans réponse.

Peut-être les auteurs de trois livres récents avaient-ils en tête certaines de ces réflexions pour traiter des systèmes économiques et proposer différents points de vue sur ce que nous avons connu dans le passé et sur la direction que nous serions en train de prendre.

LES LEÇONS DU PASSÉ

Thomas Piketty avance que « pendant longtemps, les débats intellectuels et politiques sur la répartition des richesses se sont nourris de beaucoup de préjugés, et de très peu de faits ». Dans son livre intitulé Le capital au xxie siècle, il tente de corriger cette situation.

Professeur à l’École d’économie de Paris et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Piketty aborde son sujet d’un point de vue différent de la plupart des économistes modernes. Au lieu d’envisager l’économie simplement en termes mathématiques, théoriques ou idéologiques, il s’intéresse aux leçons que l’on peut tirer du passé, les jugeant « utiles pour tenter d’appréhender un peu plus clairement ce que seront les choix » à venir.

Constituant un manuel sur la répartition des richesses et l’inégalité des revenus, Le capital au xxie siècle « est autant un livre d’histoire que d’économie ». Il résulte de recherches méticuleuses. Une profusion de tableaux et de graphiques contribue à illustrer les idées de l’auteur, de même que les références à des sources aussi variées que le philosophe Karl Marx, l’économiste Simon Kuznets et les romanciers Jane Austen et Honoré de Balzac.

Le style « tous publics » de Piketty [et pour la version anglaise, l’excellente traduction d’Arthur Goldhammer, publiée chez Harvard University Press en 2014] rend l’ouvrage accessible, quoique sa lecture ne soit pas d’une grande facilité. Le lecteur ordinaire peut très aisément se perdre dans les détails, illustrations et récits, en passant à côté de la notion que l’auteur essaie d’exposer.

En dépit de la densité de l’ouvrage, le thème central est très simple : quand le capitalisme fonctionne selon sa logique, la richesse, autrement dit le taux de rendement du capital (r), dépasse le taux de croissance économique (g), c’est-à-dire les revenus du travail. En termes mathématiques, l’auteur exprime ce raisonnement par r > g. Pour dire les choses simplement, il se crée une accentuation des inégalités : les riches deviennent plus riches, contrairement au reste d’entre nous.

Piketty commence sa démonstration par une restitution historique et un récapitulatif de la dynamique entre capital et revenu aux niveaux national et individuel dans les pays développés les plus riches, depuis la révolution industrielle jusqu’à nos jours. En s’appuyant sur des explications détaillées des évolutions marquées des niveaux de revenus, du pouvoir d’achat et de la productivité pour illustrer la croissance, il met en évidence que les inégalités ont toujours existé, malgré « la progression spectaculaire que les niveaux et les modes de vie ont connue depuis la révolution industrielle », pas seulement pour la population aisée mais pour beaucoup de gens à travers le monde.

« La question de la répartition des richesses est trop importante pour être laissée aux seuls économistes, sociologues, historiens et autres philosophes. Elle intéresse tout le monde, et c’est tant mieux. »

Thomas Piketty, Le capital au xxie siècle

Toutefois, il est évident que ces améliorations des conditions de vie étaient inégalement réparties. De fait, jusqu’au xxe siècle, l’inégalité était la norme, tout simplement. Tandis que le petit nombre de personnes qui disposaient d’un capital (héritage, terres ou autres biens) devenait plus riche, ce n’était généralement pas le cas des plus nombreux, dont le revenu était issu du travail.

Arriva alors le xxe siècle, période atypique dans l’histoire de la répartition des richesses. Aux États-Unis, l’entre-deux-guerres a vu l’instauration de régimes de protection sociale, avec notamment le salaire minimum et le système de Sécurité sociale, ainsi que la taxation à la fois des revenus et des biens immobiliers au-delà d’un certain seuil. La « classe moyenne patrimoniale » (propriétaire) qui est apparue à cette époque a osé faire le Rêve américain dans lequel chacun a sa chance. Piketty souligne les circonstances inhabituelles qui ont permis cette évolution : « Ce sont les guerres, dans une large mesure, qui ont fait table rase du passé et qui ont conduit à une transformation de la structure des inégalités au xxe siècle. »

L’illusion que la contradiction fondamentale du capitalisme (r > g) avait été surmontée paraît néanmoins s’estomper. Piketty affirme que « certaines inégalités patrimoniales que l’on croyait révolues semblent en passe de retrouver, voire de les dépasser, leurs sommets historiques ». Le revenu du capital joue certainement un rôle dans ces inégalités mais une différence importante est apparue depuis les années 1970 : la montée en flèche des rémunérations qui vont aux 10 % des salariés les mieux rémunérés, « des individus aussi riches que des pays ».

Que suggère l’auteur pour maîtriser cette reprise des inégalités ? Piketty ne prétend pas avoir toutes les réponses, il tente simplement « de tirer de l’expérience des siècles passés quelques modestes clés pour l’avenir ». Parmi ses propositions, on trouve une véritable égalité d’accès à l’enseignement public, la mise en place d’un système de retraite unifié et, surtout, « un impôt mondial et progressif sur le capital » qui, selon lui, « ne sera jamais que l’un des éléments d’un système fiscal et social idéal ».

Avec près de 1000 pages, Le capital au xxie siècle constitue un travail considérable et important à plus d’un titre. Aspect intéressant néanmoins, il faut attendre la dernière page pour que Piketty livre ce qui est probablement l’information la plus utile pour le lecteur moyen : « Les citoyens devraient s’intéresser sérieusement à l’argent, à sa mesure, aux faits et aux évolutions qui l’entourent. Ceux qui en détiennent beaucoup n’oublient jamais de défendre leurs intérêts. Le refus de compter fait rarement le jeu des plus pauvres. »

LES AVANCÉES TECHNOLOGIQUES

Alors que Thomas Piketty termine plutôt sur une mise en garde, Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee sont plus optimistes quant aux opportunités économiques à venir. Leur livre, Le deuxième âge de la machine : Travail et prospérité à l’heure de la révolution technologique, propose un regard enthousiaste sur le potentiel des nouvelles technologies et les effets qu’elles auront sur l’économie et sur nos vies.

Les deux co-auteurs sont tout à fait qualifiés pour écrire sur la technologie du futur et son impact sur la société : professeur en science de gestion et en technologie de l’information, Brynjolfsson dirige également le Center for Digital Business au sein de la Sloan School of Management du MIT (Massachussetts Institute of Technology) ; quant à McAfee, il est chercheur dans ce centre et cofondateur de l’unité du MIT consacrée à l’économie numérique (Initiative on the Digital Economy).

Piketty débutait par une histoire de l’économie à partir du xviiie siècle ; Brynjolfsson et McAfee, de leur côté, présentent la voie du progrès technologique depuis à peu près la même époque. Ce qu’ils appellent « le premier âge de la machine » est né avec la révolution industrielle, « la première fois que le progrès était dynamisé principalement par l’innovation technique ». Selon eux, la mutation a commencé par l’invention du moteur à vapeur, avant d’aboutir « aux usines et à la production en série, au chemin de fer et aux transports collectifs. Autrement dit, à la vie moderne. »

« Notre génération a hérité de possibilités de transformer le monde plus nombreuses qu’aucune autre avant elle. C’est là une source d’optimisme, mais seulement si nos choix sont réfléchis. » 

Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, Le deuxième âge de la machine

Le deuxième âge de la machine est l’âge de la technologie numérique. La révolution industrielle a permis de surmonter les contraintes physiques de l’homme et d’accélérer la croissance ; à présent, la révolution numérique promet d’agir de même vis-à-vis de notre intelligence. À quelles transformations faut-il s’attendre du fait de cette « extraordinaire accélération de la puissance intellectuelle » ? Elles restent à voir mais les co-auteurs dépeignent un tableau optimiste d’un avenir que la technologie rend plus simple et plus productif.

Depuis 1970 environ, on considère que l’essor technologique est régi par la loi de Moore, selon laquelle il suffit d’à peine deux ans pour voir la puissance des microprocesseurs doubler, moyennant un coût supplémentaire réduit ou nul. Cette loi a été vérifiée dans les faits, repoussant les frontières de la science-fiction : les véhicules Google se conduisent tout seuls, les superordinateurs diagnostiquent des maladies et les iPad, qui tiennent dans la main et ne coûtent que quelques centaines de dollars, sont plus puissants que le superordinateur Cray-2 de 1985 qui avait la taille d’un lave-linge et coûtait 35 millions de dollars. Certains doutent que cette croissance exponentielle puisse perdurer, mais si « le deuxième âge de la machine promet vraiment de contribuer à libérer la puissance de l’ingéniosité humaine », des innovations verront le jour.

Les produits de l’innovation simplifient la vie. Qu’il s’agisse de « proposer une nouveauté sensationnelle » ou de « recombiner différemment l’existant », la démarche stimule en grande partie la croissance de notre niveau de vie et des économies nationales et mondiale : « L’innovation permet l’accroissement de la productivité. »

Toutefois, comme les auteurs le soulignent, l’innovation tend moins à favoriser la productivité humaine qu’à faire exploser les profits des entreprises. Les usines qui assemblent bon nombre des avancées technologiques utilisées au quotidien emploient principalement des robots à la place des ouvriers. Le personnel humain reste évidemment nécessaire pour programmer, entretenir et réparer les robots, mais ces postes techniques sont très qualifiés ; il faut de moins en moins de main-d’œuvre peu qualifiée pour préserver ou accroître les niveaux de productivité.

Les avancées de la technologie sont donc en train de créer « un chômage technologique », expression utilisée pour la première fois en 1930 par John Maynard Keynes. Ce déficit d’emplois peut être temporaire, et se résoudre simplement par la reconversion des chômeurs, mais il peut aussi être permanent. En abordant les problèmes liés à cette forme de chômage, les auteurs consacrent trois chapitres à des recommandations destinées respectivement aux individus, aux entreprises et aux gouvernements.

Leur premier conseil aux individus est d’apprendre à travailler avec des ordinateurs. Ces machines peuvent avoir besoin de programmes écrits par l’homme pour produire des biens, répondre à des questions complexes ou donner des instructions, mais les humains gardent l’avantage dans des spécialités très particulières. « L’idéation, la créativité et l’innovation » sont des domaines dans lesquels les ordinateurs ne peuvent toujours pas concurrencer les hommes. Être formé à l’utilisation de l’informatique est donc une priorité pour celui qui cherche un emploi.

Par ailleurs, les entreprises et les autorités gouvernementales sont fortement incitées à redresser un système éducatif dépassé, encourager la création d’emplois et d’entreprises, favoriser la recherche, moderniser les infrastructures, et instaurer des politiques fiscales spécifiques en faveur des comportements créateurs de croissance économique et de biens publics, tout en décourageant les attitudes néfastes.

Malgré les difficultés possibles – crise économique, criminels mettant la technologie à leur service, ou même l’éventualité que les ordinateurs prennent le pouvoir, la réalité rejoignant la fiction –, Brynjolfsson et McAfee restent optimistes quant à un avenir apte à générer davantage de richesse mais aussi « davantage de liberté, de justice sociale, moins de violence, moins de rigueur pour les défavorisés, et des opportunités plus nombreuses pour de plus en plus de gens ». Le deuxième âge de la machine sera une époque de grande ingéniosité, affirment-ils : elle libérera l’humanité pour qu’elle jouisse de « l’intense satisfaction que procurent invention et exploration, créativité et construction, amour, amitié et sens communautaire ». Et « comme nos actes seront soumis à moins de contraintes, il est inévitable que nos valeurs prendront plus d’importance que jamais ».

LE CAPITALISME DÉTRÔNÉ

Tandis que Le capital au xxie siècle et Le deuxième âge de la machine traitent des mécanismes qui permettraient de modérer le fonctionnement actuel de l’économie, grâce à l’intervention de l’État et au progrès technologique, la démarche de Jeremy Rifkin repose sur l’idée que les récentes secousses économiques traduisent une mutation, du capitalisme vers une nouvelle configuration de l’offre et de la demande.

Les technologies à l’œuvre lors de la première révolution industrielle (charbon et vapeur), puis de la deuxième (pétrole), ont créé un monde d’abondance où vit une grande partie de la population mondiale. Dans son livre intitulé La nouvelle société du coût marginal zéro : l'Internet des objets, l'émergence des communaux collaboratifs et l'éclipse du capitalisme, Rifkin pose en principe que le capitalisme est en train de disparaître, pas dans l’immédiat mais inexorablement. « Un nouveau système économique entre sur la scène mondiale : les communaux collaboratifs […] qui transforment notre façon d’organiser la vie économique ». Le système capitaliste, victime de son propre succès, laissera place « à une façon entièrement neuve d’organiser la vie économique dans un âge caractérisé par l’abondance et non par la pénurie ».

Rifkin, qui est économiste, préside la Fondation pour les tendances économiques ; il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages relatifs à des innovations de la technologie et de la science, et à leur impact dans le monde. Pendant dix ans, il a été consultant auprès de l’Union européenne, conseillant des chefs d’État, la Commission et le Parlement européen.

Montrant qu’à la fois la première et la deuxième révolutions industrielles se sont développées et épanouies à la rencontre de technologies spécifiques, Rifkin suggère que nous sommes à l’aube de la troisième révolution industrielle, point de convergence des communications, de la logistique et de l’énergie qui transformeront notre mode de vie.

Cette révolution cherchera à créer un « Internet des objets » qui « connectera tout et tous dans un réseau mondial intégré ». Cette interconnexion aura plusieurs conséquences, notamment « améliorer l’efficacité, accroître énormément la productivité et réduire à presque rien le coût marginal de production et de partage d’une large gamme de biens et services ».

Une décennie plus tôt, la capacité de relier ces divers systèmes aurait semblé improbable, mais comme l’explique Le deuxième de la machine, les progrès technologiques nous ont amenés à un stade où il ne s’agit plus seulement d’une possibilité mais d’une réalité. Comme ces technologies progressent et que les coûts de production et des services (dont l’éducation et la santé) sont réduits à un niveau quasiment nul, le capitalisme ne sera plus le système économique dominant.

Rifkin estime que « le capitalisme a donné une interprétation forte de la nature humaine et construit le cadre général où s’inscrit notre vie économique, sociale et politique depuis plus de dix générations ». Selon lui, en 2050, « un capitalisme de plus en plus mince, efficace et astucieux » sera « un partenaire puissant et florissant dans la nouvelle ère économique, mais il ne régnera plus ».

Il est difficile d’imaginer un monde sans le système capitaliste. Les hommes vivent et interagissent sur un marché, même s’ils n’en ont pas conscience. « Le capitalisme a pour raison d’être d’introduire toutes les composantes de la vie humaine dans la sphère économique, où elles seront muées en biens échangeables sur le marché en tant que propriétés privées. […] Aujourd’hui, pratiquement tout dans notre vie quotidienne est lié d’une façon ou d’une autre à des échanges commerciaux. Le marché nous définit. »

« Dans la vieille garde des milieux d’affaires, beaucoup – pas tous, certes – ne peuvent même pas imaginer qu’une vie économique puisse exister si la plupart des biens et services sont presque gratuits, le profit impossible, la propriété absurde et le marché superflu. Que resterait-il ? »

Jeremy Rifkin, La nouvelle société du coût marginal zéro

Cependant, tout le monde ne veut pas être défini par le marché. D’après Rifkin, c’est en particulier la jeune génération actuelle qui emportera le changement : « Une partie au moins de la jeunesse qui grandit dans un nouveau monde structuré par des réseaux pair à pair, collaboratifs et distribués commence à échapper au syndrome matérialiste typique de la vie économique de l’ère capitaliste. Ces jeunes sont en train de créer une économie du partage, qui est moins matérialiste et plus durable, moins utilitaire et plus empathique. Ils vivent davantage leur vie sur un communal mondial et moins sur un marché capitaliste. »

Des millions de gens prennent déjà part à l’économie des communaux collaboratifs, générant leur propre énergie verte, créant des biens au moyen d’imprimantes 3D, louant ou partageant leur maison, leur voiture et leurs vêtements via des sites Web tels que Airbnb, Lyft et ThredUP, et bénéficiant gratuitement, ou à peu de frais, des cours de formation MOOC (Massive Open Online Courses) que de nombreuses universités proposent désormais en ligne. Néanmoins, Rifkin reconnaît qu’il existe des obstacles à la concrétisation de cet avenir prometteur. « Sans un changement fondamental de la conscience humaine », ces obstacles, parmi lesquels l’évolution incontrôlée du climat ou le cyberterrorisme, peuvent ralentir, voire stopper, l’ensemble du processus de mutation.

La nouvelle société du coût marginal zéro est un ouvrage optimiste qui présente un monde tout à fait apte, non seulement à transformer un système économique, mais aussi à annihiler notre « obsession du matérialisme », grâce à quoi « nous pourrions enfin respirer, et redécouvrir que nous aspirons les uns aux autres et non à des objets. […] En réalité, les choses auxquelles nous aspirons le plus ne sont pas rares, mais d’une abondance infinie : l’amour, l’acceptation et la reconnaissance de notre humanité. »

DES PRINCIPES FONDAMENTAUX

Comme le suggèrent ces différents auteurs, les systèmes économiques modernes laissent beaucoup à désirer. Le potentiel d’amélioration est considérable mais, pour autant, les suggestions les plus optimistes qu’ils exposent tous pourront-elles se réaliser ?

Les révolutions technologiques, et l’évolution économique correspondante, que Rifkin, Brynjolfsson et McAfee proposent sont des perspectives intéressantes. Le souhait d’un changement tant économique que sociétal trouve certainement un écho : dans un monde où des centaines de millions de personnes vivent dans la violence et la pauvreté, la possibilité d’un environnement de paix et d’abondance n’est pas sans attrait. Les difficultés de réalisation de ces projets sont toutefois plus sérieuses qu’aucun d’eux ne semble le soupçonner. Si l’on considère l’énorme inertie et les structures qui préservent actuellement le statu quo, il y a semble-t-il peu d’espoir d’obtenir une réponse aux appels manifestes de ces auteurs en faveur de l’égalité économique, de la liberté et d’un accès universel au système. Les tentatives humaines pour mener des changements de cette ampleur n’ont jamais eu de résultats durables.

Nos systèmes économiques font partie de nos inventions les plus ingénieuses. Il est souvent facile d’oublier que ce ne sont pas des systèmes naturels, qu’ils ne sont nullement régis par l’ordre naturel, ou tout autre, pour être tels qu’ils sont. Que le régime en place soit le capitalisme ou le communisme, ce sont nos choix qui structurent l’économie. Dans la nature, il n’existe pas de lois qui établissent qu’un système est meilleur qu’un autre, ce qui implique, dans un sens, que tout est disponible à volonté.

La question à poser est donc de savoir si des principes fondamentaux devraient être à la base du système. Piketty parle de choix à faire, Brynjolfsson et McAfee notent l’importance des valeurs, et Rifkin reconnaît la nécessité d’un changement fondamental de la conscience humaine.

En gardant ces notions à l’esprit, réfléchissez à certaines des vérités intemporelles que recèlent les pages de la Bible. À quel point notre monde serait-il différent, par exemple si tous les gens comprenaient non seulement que la passion de l’argent est à l’origine de toutes sortes de maux, mais qu’elle a altéré leurs priorités ? Que se passerait-il si tous les patrons géraient leur entreprise en pensant que leurs employés méritaient d’être embauchés ? Et tandis qu’ils découpent ce qu’ils estiment être leur part du gâteau économique, qu’arriverait-il si les gens se rappelaient toujours de traiter les autres comme ils aimeraient être traités, sans oublier d’aider « la veuve et l’orphelin », autrement dit les défavorisés ?

Ne pas respecter de tels principes dans notre vie ramène précisément à l’imperfection de notre nature humaine. Sauf si notre nature collective donne plus d’importance aux autres et à leurs besoins (et moins à notre intérêt personnel), la perspective la plus optimiste de notre avenir économique mondial est à peine plus que cela : une perspective optimiste.