Deux hommes, une ville

Le mois de juin marque le 40ème anniversaire de la Guerre des Six Jours. Les Israéliens ont fêté le jour de Jérusalem le 28 Iyar (qui est tombé cette année le 16 mai), la date du calendrier hébreu où la vieille ville est tombée dans les mains des forces israéliennes. Pour Jérusalem, rien n’a été plus important dans la guerre que la prise – par les Israéliens le 7 juin – de la partie est de la ville, y compris le mont du Temple.

Deux évènements ayant eu lieu juste après la bataille illustrent le parallélisme existant entre les Israéliens et les Palestiniens, ainsi que leur attachement au cœur religieux de la vieille ville. Ces évènements concernent le premier Premier ministre d’Israël, David Ben Gourion, et l’ancien président de l’OLP, Yasser Arafat.

Ben Gourion visita le Mur des Lamentations le lendemain de sa prise, accompagné par son protégé, Shimon Peres. Il remarqua un panneau en tuile en face du Mur sur lequel il était inscrit « Al-Buraq Rd » (route al-Buraq) en anglais et en arabe mais pas en hébreu. (Selon le Coran, al-Buraq était le cheval ailé mystique de Mahomet lorsqu’il fit son fameux voyage nocturne vers Jérusalem. À son arrivée, le cheval fut attaché dans le coin sud-ouest du Haram, ou enceinte du Temple, alors que le prophète monta au ciel.) Ben Gourion regarda le panneau d’un air désapprobateur et demanda si quelqu’un avait un marteau. Un soldat essaya d’arracher la tuile à l’aide d’une baïonnette, mais Ben Gourion ne voulait pas que la pierre soit endommagée. Une coupe nette fut faite et le nom apparaissant sur la tuile fut enlevé. Le symbolisme d’effacer l’arabe du site saint juif libéré n’échappa pas à la foule présente, ni à Ben Gourion. Ils applaudirent et il s’exclama : « C’est le plus grand moment de ma vie depuis que je suis arrivé en Israël. » C’est un commentaire bizarre de la part d’un homme qui avait vécu de « grands moments » durant sa longue carrière, y compris son implication directe dans la création de l’État d’Israël.

Plus tôt dans sa vie, Ben Gourion était déjà venu devant le Mur. Son biographe, Shatai Teveth, raconte cette visite : « Avant la fin février [1909], il visita Jérusalem pour la première fois et lorsqu’il vit le Mur des Lamentations, il fut dans un telle agitation émotionnelle qu’il décida de rester une semaine dans la ville. » En 2002, lorsque j’ai demandé à M. Teveth ce qu’il voulait dire par-là, il m’a répondu : « Il faut s’imaginer que c’était comme un fils qui rencontrait son père après une longue séparation. » En d’autres termes, le Mur était un aspect très profond de l’identité de Ben Gourion, même si apparemment, ce n’était pas un homme religieux.

Le second évènement qui se déroula juste après la prise de la ville a eu une signification profonde pour Yasser Arafat, le leader palestinien. En 24 heures, les maisons palestiniennes adjacentes au Mur des Lamentations furent démolies afin de créer une grande place pour les fidèles juifs. Ceci fut réalisé sur les ordres du ministre israélien de la Défense, Moshe Dayan. Parmi les maisons démolies, il y avait une enceinte vieille de plusieurs siècles qui appartenait à la famille Abu Sa`ud – la famille de la mère d’Arafat. Après sa mort prématurée en 1933, le jeune Arafat et ses frères vécurent avec ces Jérusalémites influents. Ils fournirent aux garçons protection et consolation dans cette maison adjacente au Haram, le premier site de l’identité islamique de la ville. Ils ont raconté à maintes reprises des histoires sur leur courage et leur ferveur politique face à la menace sioniste pesant sur la ville et particulièrement sur le Mur des Lamentations.

On peut s’imaginer que pour Arafat, cette partie de la ville était un symbole d’identité personnelle aussi fort qu’il ne l’était pour Ben Gourion. Cela explique peut-être en partie pourquoi il chantait souvent « Jérusalem, Jérusalem, Jérusalem » et qu’il a demandé à être enterré au Haram.

Même si les deux leaders nous ont quittés, l’identité et l’idéologie sont toujours au cœur du conflit israélo-palestinien et du futur de Jérusalem.